Beyond What Eyes Can See
Haxprocess
Que vous le vouliez ou non, il faudra à un moment donné accepter cette triste réalité : le Absolute Elsewhere de Blood Incantation est un disque chiant. Vous avez le droit de crier au scandale, de me traiter d'imbécile, cela ne changera rien.
Ce qu'on vous a vendu comme le disque death metal de l'année est juste un disque parfait. Il est surtout le disque d'un cap ; celui d'un groupe passé de l'autre côté du spectre à force de geekerie et de passion. Tout amenait d'ailleurs à l'écriture de ce pavé death sci-fi/prog gavé à l'analogique des 70's. En ouvrant chaque fois plus le spectre musical, en affinant la formule et surtout en professionnalisant leur gigantesque amour du rock progressif, Blood Incantation ne pouvait que finir par écrire ce monument. Mais que c'est chiant. Et que c'est scripté, bordel. Si on exclut la perfection de la construction et le mastering au poil, ce disque ne raconte rien. Mais alors, rien du tout. C'est le gigantesque problème de Absolute Elsewhere – et une partie de l'explication de sa réussite, probablement – cette manière avec laquelle quelques écoutes suffisent à évacuer tout le mystère de sa narration. Étrange pour un disque dont le genre devrait forcément emmener avec lui le mystère au-delà de sa technicité. Dans sa facilité à tout lisser, Blood Incantation a muté dans une version presque pop de lui-même. Est-ce un mal ? Pas forcément dans la mesure où on sent que le groupe n'aurait pas pu l'éviter et que dans ce créneau – comme Mastodon à l'époque et à son niveau – excelle à défaut d'encore véritablement intéresser.
Cette longue remise en place de la vérité aura surtout comme objectif de servir de magnifique rampe de lancement à cette chronique du deuxième album de Haxprocess. Parce que, pour le dire assez rapidement, le meilleur album de death metal progressif et cosmique de 2024 est sorti en 2025, et c'est précisément ce What Eyes See Beyond qui nous occupera ici. Alors, au-delà des blagues et du cynisme, l'idée n'est pas tant de comparer qui, d'un groupe émergent archi prometteur et d'un autre de darons au pic de leur art, est ici le meilleur que de chercher à célébrer l'essence du death metal à forte consonance prog. A ce titre-là, par contre, le nom de Haxprocess est digne de figurer à côté de celui de Blood Incantation tant l'effort pour produire une musique tortueuse de qualité est intense. Parce que What Eyes See Beyond est la salade de riffs la plus délicieusement complexe que vous entendrez cette année.
Suffisamment complexe dans son écriture en tous cas pour réaliser l'exploit d'avoir un potentiel de rejouabilité quasiment infini. Là où le Absolute Elsewhere de Blood Incantation a une durée de vie équivalente à une campagne de Call of Duty en mode facile (c'est scandaleusement court, par contre, qu'est ce qu'on se régale niveau graphismes et dynamisme du gameplay), Haxprocess tient son rang de héros prog en jouant des titres remplis à ras bord d'allers-retours entre ses thèmes musicaux, ses couleurs, ses signatures rythmiques et ses innombrables changements de direction. Les Américains incarnent leur fonction à la perfection, servant quatre titres pour quarante-quatre minutes de kaléidoscope complexe entre death/prog lovecraftien, heavy metal pour la pyrotechnie, thrash pour la lumière dans l'accélération ou légèrement black (certaines parties vocales, notamment dans le magnifique « Sepulchral Void » final).
Est-ce le climat floridien qui joue ici mais, en bon natif de Jacksonville, Haxprocess ne peut s'empêcher de rester collé à tout l'héritage que sa région a pu offrir au monde en matière de death bestial. S'il serait hâtif d'en faire les enfants de Morbid Angel, Haxprocess est dans l'impossibilité de tirer un trait sur tout le caratère death de sa musique. Sur le terrain, dès que le groupe se retrouve en position de se perdre un peu dans des considérations strictement Opethiennes (comprenez le vrai prog metal bien pompier, romantique et viscéral), Beyond What Eyes Can See revient immédiatement à sa formation de base, à savoir celle qui consiste à casser des gueules avec le plus de classe possible.
Mais du coup, qu'est-ce qu'on peut reprocher à Haxprocess ? Et bien pas grand chose. La signature sur un label encore plus visible que Transcending Obscurity – qui est l'une des meilleures écuries quand il s'agit d'apprendre à leurs poulains à frapper au-dessus de leur catégorie de poids - amènerait probablement encore plus d'étoffe à un groupe qui effectue déjà tous les bons choix au moment de se mettre en studio. C'est peut-être là que réside la différence entre Blood Incantation et les autres, dans cette capacité à être gros dans la globalité de leur proposition. C'est cette dimension-là qu'il manque peut-être encore à nos Américains. Mais si cela doit les prémunir d'un destin musical à la Blood Incantation, on se réjouit de voir Haxprocess nager dans les eaux indé pour encore un moment. Parce que tout le monde le sait, Call of Duty c'est bien, mais Counter-Strike ce sera toujours mieux.