Batakari

Ata Kak

Awesome Tapes From Africa  – 2025
par Jeff, le 22 novembre 2025
8

Comment auriez-vous réagi si vous aviez écoulé à peine trois exemplaires d’un album dans lequel vous aviez mis votre cœur, votre âme et vos économies ? Oui, vous auriez probablement fait comme Ata Kak : lâcher l’affaire, comme il l’a fait en 1994. À l’époque, cet artiste ghanéen vivait à Toronto, où il jouait de la batterie dans un groupe de reprises de standards highlife, genre musical fusionnant rythmes d'Afrique de l'Ouest et influences occidentales.

Non content de maîtriser les codes highlife, Ata Kak était aussi très inspiré par les sonorités hip-hop et dance music dans lesquelles il baignait à l’époque, et ça a donné Obaa Sima, un album improbable avec ses synthés tellement cheap qu’ils feraient passer un Bontempi pour une TR-808, sa production calamiteuse et son sens de la fête irrésistible. Trois copies s’en sont écoulées donc, et d’une certaine manière on peut presque comprendre pourquoi. Et puis Ata Kak est rentré au bercail. Des années plus tard, Brian Shimkovitz, le patron du jeune label Awesome Tapes From Africa, tombe sur une copie d'Obaa Sima au Ghana et l'achète. La suite on la connait : le disque ressort en 2015, devient un (épi)phénomène planétaire et Ata Kak se produit à Glastonbury et à Sonar. 

C’est un beau roman, c’est une belle histoire, et on aurait tout à fait pu en rester là. Sauf qu’Ata Kak est visiblement retombé sur la boule à facettes et le canon à confettis qu’il avait remisé au placard, et ils sont toujours en parfait état de marche. Alors 31 années après le coup d’éclat originel, Ata Kak revient avec un EP qui reprend les choses exactement là où Obaa Sima les avaient laissées, quelque part entre Grandmaster Flash, Stevie Wonder et Ebo Taylor. Et comme sur Obaa Simaa, la cohérence et la solidité du produit fini tiennent presque du miracle. Car oui, quand Ata Kak se lance dans ses élucubrations rappées en Twi, on sait qu’on est parfois à deux doigts de finir dans un post de La Cringerie. Par ailleurs, on sent souvent qu’il se laisse déborder par son enthousiasme comme sur « Batakari », mais c’est ce qui rend paradoxalement ces six titres si attachants. Les évolutions technologiques qui nous séparent d’Obaa Sima auraient pu pousser Ata Kak dans la voie de la modernité, embrasser des nouvelles techniques de production, mais hormis un peu d’autotune qu’il utilise très justement à son avantage sur « Yasi Town », le Ghanéen convoque les mêmes démons de minuit que sur son précédent disque. 

L’hybridation est donc toujours au cœur de sa démarche, comme le plaisir communicatif qu’il affiche à faire le zouave sur une corde bien raide. Et dans une époque où les comebacks sont plus travaillés qu’une frappe de KDB, on prend un plaisir fou à recroiser la route d’un artiste qui n’a jamais rien eu à prouver, mais tant de choses à nous donner.