All Under Heaven
Theurgion
A-t-on encore le droit en 2025 de venir avec une faiblesse, si petite soit-elle, dans une scène aussi exigeante que la scène metal prise dans sa globalité ? À bien la quadriller, il semble que personne n'ose venir proposer son art sans être le meilleur de sa catégorie. Est-ce que ce premier album de Theurgion serait donc moins exceptionnel que prévu sous prétexte que son chant haut cale un peu comme une Lada dans une montée ? Est-ce que cela entache vraiment All Under Heaven quand on voit le soin apporté à ces sept titres ? Pour s'être enquillé quelques dizaines d'écoutes complètes, pas vraiment.
Probablement parce que ce premier album sonne comme la synthèse parfaite du doom triste qu'on pouvait s'envoyer par camion dans les années 90. Solidement death et funéraire, Theurgion rappelle ici la noblesse d'une musique autrefois portée par des Anathema, Morgion ou Katatonia. Mais plus qu'une simple redite de ces pépites old school, les Américains imposent ici un langage musical fort, marqué par des thèmes narratifs ancrés profondément, joués puissamment et avec une cohérence dans l'écriture qui appelle sans cesse à la réécoute.
Si le registre vocal de L.C. peut parfois s'avérer légèrement insuffisant dans les crêtes hautes, on ne peut le noter que parce que le reste de l'expérience est absolument titanesque ; des lignes de basses solaires, des guitares mélancoliques qui tapent incroyablement juste, un chant grave surpuissant et surtout un dynamisme de composition qui sort ce disque des traditionnels canevas moment calme/moment violent qu'on a eu l'habitude de bouffer à la pelle dans cette scène. On comprend sans trop de problème pourquoi la machine Theurgion déboule directement pour son premier album sur Profound Lore Records, passés maîtres dans l'art de déceler les premiers la couleur propre des groupes qui compteront demain, leur environnement musical totalement incarné, quitte à ce que les derniers détails doivent être ajustés par la suite.
Oserions-nous aller jusqu'à dire que c'est cette instabilité dans le chant qui le rend si unique sur la longueur ? Dans tous les cas, il nous rappelle la souffrance qui fait le thème général de ce disque, et la manière avec laquelle on peut s'y confronter sans lâcher le morceau - le voir tout donner dans le morceau-titre, quitte à se prendre un peu les pieds dans le tapis, est à ce titre particulièrement touchant. Theurgion tente et force son chemin de manière extrêmement convaincante, dans un énorme élan de vie et d'émotion qui saura nous rappeler qu'il y a monde au-delà de la perfection première et que, si nous sommes des machines à tout écouter, cela fait le plus grand bien de se confronter à des œuvres sur papier imparfaites, mais tellement vitales une fois prises dans leur ensemble. Un très, très gros démarrage.