Dossier

Les meilleurs crus 2010 (albums)

par Jeff, le 20 décembre 2010
  • 20.We Can't FlyAeroplane

    Une seule écoute de cet album permet d'y voir plus clair: s'il est évident que le fond de commerce d'Aeroplane a une forte coloration italo / balearic, on croise également sur ce disque en forme de montagnes russes les fantômes de quelques figures tutélaires de l'Histoire musicale récente. Il y a quelques mois déjà, le single "We Can't Fly" avait donné le ton en se donnant des airs de remix italo de qui aurait pu être un tube de Grace Jones. Ailleurs sur la galette, c'est Giorgio Moroder que l'on croise sur des titres taillés sur mesure pour la B.O. de Scarface, mais aussi ELO et Al Stewart, le Duran Duran flamboyant des années 80, la synth pop minimaliste ou encore les inévitables Kraftwerk sur un "London Bridge" corrompu par une guitare funk. Savamment distillées et élégamment mélangées, les nombreuses influences qui constituent la colonne vertébrale d'Aeroplane prennent ainsi corps dans des compositions magnifiquement produites et qui évitent à chaque fois la faute de goût.

  • 19.Halycon DigestDeerhunter

    Si Halcyon Digest remplit une mission, c'est celle de donner un coup de fouet à cette catégorie musicale fourre-tout et dangereuse qu'est l'"indie rock". Deerhunter lui appose son sceau et lui donne un sens. Mélodies magnifiques et travaillées, refrains fédérateurs habités par l'écriture quasi-automatique de Bradford Cox (définitivement moderniste), auquel vient s'ajouter un élément mystère, le x de l'équation, la valeur inconnue. Pourquoi ne pas l'appeler "indie"? Pas simplement une expérimentation mais une façon indépendante et libre de fournir à l'auditeur une musique d'une qualité rare et de très bonne facture, sans lien à un système plus grand. Bradford Cox poursuit son chemin et délivre la bonne parole musicale à qui veut l'entendre.

  • 18.CosmogrammaFlying Lotus

    Cosmogramma est un disque d'une densité inouïe. L'ambition est là, affleurant partout, violemment explicite et même souvent arrogante. Chaque titre se veut une potentielle révolution, un au-delà des galons précédemment acquis. FlyLo ne se contente ainsi jamais de ses propres avancées – ça lui semble insupportable, il faut encore aller chercher plus loin. Mais plus loin ça veut dire ailleurs, dans la rythmique déconstruite, dans la digression jazz et dans l'orchestration à cordes. Le Cosmogramma qui nous concerne est un événement, voire un avènement, celui d'un Maître. C'est la cérémonie et le couronnement d'un nouveau Dieu digital.

  • 17.MimikryANBB

    ANBB = Alva Noto + Blixa Bargeld. Tout comme 1 + 1 = 2, cette collaboration a tout de la logique la plus primaire. Deux figures parmi les plus imposantes de la scène berlinoise croisent ici leurs talents dans un grand bain d'avant-garde. Et c'est absolument essentiel. Quelle idée de génie de recruter le leader d'Einstürzende Neubauten afin qu'il prête sa voix si particulière à l'électronique d'Alva Noto. Si vous êtes passionnés de musiques électroniques et que vous êtes toujours en quête d'un album iconoclaste quoique formidablement maîtrisé, Mimikry risque bien de se révéler à vous comme un indispensable du genre.

  • 16.HeartlandOwen Pallett

    Dans la lignée de Spectrum : 14th century et Plays To Please, ses deux EP qui avaient alors mis en évidence les épanchements symphoniques du violoniste flirtant entre féérie et opéra, Heartland se révèle être une merveille de pop orchestrale, habillée magistralement par les soins d'un doux rêveur, guide et maître spirituel de ce voyage haut en couleurs vers des contrées pleines de volupté et d'onirisme. Owen Pallet livre ici son album le plus abouti, d'une splendeur substantielle remarquable où la magie opère de bout en bout. "What Do You Think Will Happen Now?" se demande le Canadien en conclusion de ce Heartland. En nous livrant sur un plateau d'argent les douze chapitres de ce conte fabuleux, Pallett poursuit sereinement son ascension vers des monts de splendeur, parvenant brillamment à s'imposer définitivement comme l'un des grands noms de la scène folk anglo-saxonne actuelle.

  • 15.BrothersThe Black Keys

    « Ceci est un album des Black Keys. Le nom de cet album est Brothers. » C’est avec humilité et espièglerie que le duo de l’Ohio prolonge une discographie parfaite, ponctuée par un album solo de Dan Auerbach et une explosive confrontation des genres nommée Blakroc, tout aussi exemplaires. Il aura donc fallu six albums pour que le barbu et le binoclard exposent la quintessence de leur art : un blues savoureux et animal qui ondule des hanches d’une façon que la morale réprouve. Une telle abondance de phéromones ne pouvait que séduire le plus grand nombre puisque leur titre « Tighten Up » a envahi les ondes ces derniers mois et leurs tronches de fermiers lambda ont soudainement émergées sur nos petits écrans.

  • 14.Sir Luscious Left FootBig Boi

    Sur cet album solo, Big Boi démontre non sans conviction qu'il est bien l'un des rappeurs les plus inventifs et talentueux de sa génération, même s'il a parfois la fâcheuse tendance à vouloir se retrancher derrière une liste d'invités aussi prestigieuse que kilométrique. Mais à l'arrivée, il subsiste derrière ces apparats de rigueur le flow élastique et mitraillette du MC d'Atlanta et l'incroyable variété des productions. C'est certain, ce disque-là, aussi réussi soit-il, ne fera pas le poids face à la déferlante hip hop/électro qui empoisonne nombre de projets, mais il a ceci de rassurant qu'au moins une moitié d'OutKast tient la forme de sa vie, et que s'il en est de même pour André 3000, lorsque ces deux-là se retrouveront en studio, ils risquent fort d'écrire un nouveau chapitre incontournable de l'histoire tumultueuse du rapgame.

  • 13.Black NoisePantha Du Prince

    Troisième album et surtout successeur d'un This Bliss qui affole les tops, Black Noise aura lui aussi droit à sa place au panthéon des plus belles œuvres électroniques. Peut-être car le talent de son géniteur ne s'est jamais dilué. Peut-être aussi car son romantisme musical a atteint ici une forme d'acmé. Black Noise est une messe qui invite toujours plus de tendances organiques tandis qu'Hendrick Weber creuse son sillon deep house de manière ostentatoire, pour finalement arriver à une fusion architecturale d'un genre unique en son genre. Peut-être alors est-il temps de repréciser que cette omnipotence du jeune prince ne se conçoit qu'à un niveau d'excellence mesurable à l'échelle de sa carrière exemplaire et surtout à l'écoute de ce Black Noise titanesque.

  • 12.Does It Look Like I'm HereEmeralds

    Bien plus qu'un fantasme, le retour sur le devant de la scène de la mouvance kraut semble aujourd'hui accompli. Une génération plus tard, les nouveaux artisans du genre cosmique se voient loués par les plus grosses machines à fabriquer la hype, adoptant des poses arty dégueulasses en substance mais bien souvent justifiées par une véritable envie de revenir aux fondamentaux psychés. Le point de départ reste le même : des synthétiseurs analogiques à la pelle, des guitares excessivement étirées et surtout, un sens de la narration psyché à son paroxysme. Plus pop dans le format, les titres de ce Does It Look Like I'm Here? filent droit au cerveau, comme par intraveineuse, et laissent une impression d'un produit admirablement bien fini. Les guitares subliment les claviers alors que les claviers, eux, dessinent à gros renforts de rêve des toiles sans fond, des galaxies sans cartes.

  • 11.LatinHoly Fuck

    Si Holy Fuck garde aux oreilles de beaucoup certaines allures d'intransigeance et de radicalité, il ne faut pas s'y tromper : à chaque nouvel album, le groupe se fait plus accessible et leur parcours n'a depuis déjà quelques années plus grand-chose d'underground. Les Canadiens savent se faire voir où il faut, devant beaucoup beaucoup de monde, et se faire reconnaître pour ce qu'ils sont fondamentalement : un phénomène live, qui perd chaque jour un peu de son bouillon kraut et noise primordial ce qu'il gagne en efficacité dancefloor. Latin, troisième album de leur répertoire, est à l'image de ce parcours artistique parti du nerdisme absolu pour se diriger vers cet entertainment plus simple, toujours noble et régulièrement pyromane qui consiste à pratiquer de la dance-music avec de vrais instruments. Comme LCD Soundsystem, Chk Chk Chk et Caribou, alors? Oui, mais pour un résultat ici nettement meilleur que les livraisons de l'année des 3 précités; pourtant à base des mêmes recettes, d'une vision similaire et d'une pratique musicale également proche. Latin, où comment un album plus réussi mais moins médiatisé que d'autres et fabriqué par des plus petites gueules que Nic Offer et James Murphy LA LEUR MET PROFOND, en fait.