Concert

Dour Festival 2018

Dour, le 11 juillet 2018
par Émile, le 31 juillet 2018

GAGNANT : I Hate Models

Monté en puissance l'an passé avec deux EPs complètement délirants, le Français a passé un cap cette année avec une série de concerts qui a mis tout le monde d'accord. Foulard sur le visage, énergie communicative et mode "no bullshit" activé, voilà un type qui sait construire une vraie expérience. Les programmateurs ont vu juste en le programmant dans une Caverne qui l'attendait de pied ferme - c'est bien simple, dix minutes avant le début du concert, elle était déjà pleine comme un œuf. Techno, EBM, indus, trance, quasi hardcore parfois, les sonorités privilégiées par I Hate Models sont nombreuses et parfaitement maîtrisées - que ce soit lorsqu'il produit ses propres titres, ou quand il sélectionne ceux des autres. C'est violent, c'est rythmé, et c'est beau. Et il fallait voir les les yeux ébahis de ceux qui se prenaient pour la première fois dans la gueule, assommés qu'ils étaient par l'énergie dingue déployée par une foule qui dépassait de loin la capacité d'une scène transformée en rave. On était déjà conquis par son dernier EP Totsuka No Tsurugi, on a été séduits par son live. I Hate Models est en train de devenir une des machines les plus puissantes de la musique électronique européenne, et on a qu'une envie, c'est qu'il repasse près de chez nous, parce que revivre un live de ce calibre, ça n'est pas l'équivalent de revoir un bon film ou de relire un bon livre, c'est plutôt se refaire un deuxième tour de montagne russe.

GAGNANTS: Thee Oh Sees

Mais c'est pas du jeu. Ils sont toujours exceptionnels.

PERDANTS: Le Labo et le Rockamadour

Le site allait changer, et on allait voir ce qu'on allait voir. Et malgré notre habituelle circonspection, on a été obligés de reconnaître que le travail effectué par les équipes du Dour Festival en un temps record et dans des conditions pas toujours simples a porté ses fruits: un site plus fonctionnel que son prédécesseur, fluidifiant remarquablement le trafic ou les grands mouvements de foule de la soirée et qui, moyennant quelques petits aménagements, présente tous les avantages pour s'inscrire dans la durée. Et surtout, une redistribution géographique des cartes accompagnée d'un putain de double effet Kiss Cool vu le gros effort infrastructurel, prenant la forme de nouvelles tentes. Adieu les planches bancales qui rendait le sol plus piégeux qu'une ballade dans les rues de Raqqa, et bonjour les chapiteaux répondant aux attentes du festivalier de 2018. Enfin, on ne peut pas vraiment en dire autant du Labo, qui est pourtant l'une des scènes les plus intéressantes du festival. Placé dans un coin un peu isolé et pas spécialement accueillant du site, cette scène aurait mérité des apparats un peu plus reluisants permettant de mettre en valeur des artistes qui le méritaient vraiment - de KOKOKO! à Scarldxr en passant par DC Salas, Altin Gün ou le Ezra Collective, on peut dire qu'on y a vu une bonne partie des meilleurs concerts de cette édition 2018. Mais déjà pas bien bandant la journée, l'endroit se voyait carrément dénué de tout cachet une fois qu'il passait en mode clubbing, avec un DJ absolument pas mis en valeur par un light show limite limite - franchement, on aurait utilisé ne serait-ce que 5% du budget lumière de la Red Bull Elektropedia pour le Labo que ça aurait suffi. La conséquence, c'est que des pointures du DJing comme Youg Marco ou Kornel Kovacs s'emmerdaient autant derrière leurs platines qu'un public qui, par la suite, y a réfléchi à deux fois avant de faire le déplacement jusque là la nuit tombée. Surtout qu'à quelques mètres de là, s'il voulait s'enjailler dans de meilleures conditions, il y avait le Rockamadour, espace semi-ouvert qui avait pour lourde tâche de faire oublier le Bar du petit bois. Si on se doit de féliciter les équipes de Kiosk Radio, de Tarmac, des FiftyFifty Sessions ou de la Boudin Room pour la qualité du travail fourni, on ne peut s'empêcher de penser que cette nouvelle formule, qui est en fait une nouvelle scène qui n'en a pas vraiment le nom, s'est fait au détriment des espaces de détente déjà pas bien nombreux sur le site. Entre les scènes qui dégueulent du son à longueur de journée et les stands promotionnels qui prennent en otage les moindres instants de calme pour essayer de vendre leur camelote, le festivalier a bien mérité de véritables oasis de détente. Et cette année, il n'en existait pas à Dour.

GAGNANTE : La Caverne

La Caverne, c'est clairement la scène qui nous a le plus fait plaisir. Avec de la qualité, de la variété, de la place pour exister, un public aussi électrique et sympa que Oui-Oui sous speed, on a vraiment pris notre pied. Il faut dire que sur le nouveau site, elle est idéalement placée, en n'étant sur la route ni de la grande scène ni de l'Elektropedia, avec son grand chapiteau donnant de l'ombre et de l'air (manque d'air dont pâtissait justement le Labo), et ayant conservé sa double programmation - métal jusqu'à minuit, musique électronique dure ensuite. Cela fonctionnait avant, et cela fonctionne toujours parfaitement. Du coup on a pu se faire de belles journées, comme celle du jeudi où on a pu voir Ufomammut, Eyehategod, Dead Cross, I Hate Models et DJ AZF se relayer sur une scène accessible, tout le monde pouvant passer du fond au pit sans trop de problème. Et puisque Dour a la réputation d'être un festival énervé, on tient peut-être, bizarrement, sa scène la plus emblématique - rien d'évident vu la côte du metal dans l'économie des festivals "grand public". Et pourtant, on y a vu du monde: certains fans de Denzel Curry ou de Biffty, on les a retrouvés devant Kadavar ou Ministry. Jamais abandonnée comme le Labo, jamais surchargée comme la Petite Maison dans la Prairie, la Caverne est la scène qui a les meilleures conditions et permet à un univers musical qu'on affectionne particulièrement de rester en vie dans un des festivals pourtant les plus à la pointe de l'actualité. Un effort courageux et payant.

PERDANTE : La Redbull Elektropedia

La scène Redbull, ça n'a jamais été LA réussite du Dour Festival. Une bonne volonté pourtant: proposer à l'ensemble des festivaliers un espace permettant de voir les grands noms de la house et de la techno mondiales se relayer tous les jours jusqu'à 4 heures du matin. Mais avec beaucoup trop de monde, et surtout avec une programmation trop linéaire, l'organisation n'a pas vraiment réussi à dompter la bête. Alors que faire ? La refaire passer en intérieur, limiter l'entrée comme cela se fait de plus en plus souvent, ou casser l'homogénéité de la programmation ? Pour l'instant, on est dans un entre-deux pas franchement bandant, et pour tout dire, à part Honey Dijon et quelques autres moments de grâce, on n'a pas fait la majorité de nos bons concerts là-bas. C'est d'autant plus rageant que les artistes programmés sont exceptionnels et que les moyens déployés sont hallucinants. Mais rien n'y fait, même aménagée comme une scène de Tomorrowland, on y prendrait bien plus de plaisir si les artistes étaient simplement mis en valeur et qu'on avait pas l'impression d'être face à un mur de kicks permanents. Dans un festival normal, on n'aurait probablement pas eu grand chose à dire, mais avec des scènes aussi riches que la Caverne ou aussi bien agencée que la Boombox, ça nous reste un peu en travers de la gorge. Surtout qu'avec sa configuration ouverte, c'est la scène la plus audible - demandez aux petits anges partis dormir trop tôt au camping ce qu'ils en ont pensé. Vous nous direz, on n'est pas venus à Dour pour faire des nuits complètes...

PERDANTS : nos corps

Dour, ça a toujours été un événement éprouvant, et on passe moins de temps là-bas qu'à s'en remettre à la maison. Avec cinq jours de festival, deux cent concerts, programmés du milieu de l'après-midi jusque tard dans la nuit, un camping de la taille d'une ville et un public venu pour se la coller comme il faut, on peut dire qu'à la mi-juillet, Dour se transforme en aspirateur géant à neurones. Pourtant, on ne peut pas dire que le festival n'ait pas fait d'effort. Les solutions d'hébergement se diversifient et proposent de plus en plus de confort, avec le Green Camping dans sa version calme et écolo, le Village dans sa version posée et pratique, et le Comfort Camping dans sa version ultime, avec hamacs à l'ombre et croissants au réveil. Même au niveau de la bouffe, on trouve maintenant un petit coin avec des foodtrucks proposant des itinéraires un peu différents du classique burger-frites. Mais ce n'est pas véritablement ce qu'on demande au Dour Festival : est-ce qu'on rêve vraiment d'aller voir Denzel Curry avec un mojito et des sushis ? Est-ce qu'on veut trinquer avec du champagne devant MHD ? Carrément pas. L'identité du festival est brute et elle doit le rester. Mais quelques points restent problématiques, et ont même été accentués par le nouveau site. Il y a un truc que le festival devrait par exemple s'interdire, c'est d'avoir des soirées entières sans eau sur le site des concerts. Le festivalier de Dour, il est quand même en moyenne plutôt explosé à partir de 21h, et s'il a soif de bière, il est aussi en quête d'eau. On a vu des gens franchement paumés devant les robinets ; et même quand il y avait de l'eau, ça nous est arrivés de faire une demi-heure de queue pour pouvoir remplir une bouteille à un robinet qui coulait littéralement goutte à goutte. Alors quoi : acheter de l'eau au stand à 3€ la petite bouteille ? Non merci. On sait que tout cela est légal, mais franchement ça n'a rien de normal, et c'est même carrément dangereux. Surtout que cette édition a une fois de plus été soumise au beau temps, et que quand un festival de plus de deux cent mille personnes a lieu sous 30°, il devrait pleuvoir de la flotte de partout. On a aperçu quelques bénévoles avec des pistolets à eau le dernier jour, mais ça ne règle franchement pas le problème. Tout cela étant accentué par le fait que sur le nouveau site, le côté pratique et efficace de la plaine et le côté foutrement esthétique des éoliennes a fait disparaître tous les arbres, donc toute l'ombre. Pas sûr que les organisateurs puissent y faire grand chose, mais on se dit qu'il faudrait quand même y réfléchir cinq minutes quand on voit les types rouler dans la terre pour que le comatage puisse suivre la zone d'ombre tracée par le chapiteau. Et on sait que ces améliorations sont possibles, parce qu'il faut quand même l'avouer : le festival est réglé comme une horloge suisse et fonctionne sacrément bien dans la plupart des domaines.

GAGNANT : Dour 2018