Dossier

In Dust We Trust #25

par Émile, le 30 octobre 2023

À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur un peu curieux une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD a lancé In Dust We Trust, sélection vaguement trimestrielle de ce qui a mobilisé notre temps de cerveau.

Pharoah Sanders

Pharoah

Probablement une des plus grosses sorties en terme de réédition cette année, le disque éponyme de Pharoah Sanders est un classique qui avait effectivement besoin d’un coup de dépoussiérage. Et chez Luaka Bop, le label de David Byrne qui édite le disque, on connaît bien le bonhomme puisque ce sont déjà eux qui publiaient un des tout derniers disques de Sanders, à savoir son Promises avec Floating Points. Loin de cette composition symphonique, Pharoah est un disque ultra intimiste, enregistré avec un petit groupe, en peu de temps, et avec la volonté affichée d’en faire un « album de rock ». Évidemment, au final, c’est plus compliqué que cela, mais l’énergie très horizontale et le « coup parfait » dont parle le guitariste Tisziji Munoz pour résumer le chef-d’oeuvre à deux accords de « Harvest Time » en font un des disques de jazz les plus importants des années 1970, voire plus. (Émile)

Shiro Sagisu

Neon Genesis Evangelion

Grosse machine à distribuer les bandes originales de films, séries et œuvres vidéoludiques, Milan Records sait clairement où mettre les investissements pour ne pas trop se planter : cette année, entre les Cyberpunk 2077 : Phantom Liberty et les Jujuitsu Kaisen, on trouve une jolie réédition sur vinyle de la musique du légendaire anime Neon Genesis Evangelion. À mille lieues des shonen rempli d’espoir et d’aventure, Evangelion est le miroir d’une détresse à tous les étages. Le personnage de Shinji est déjà trop vieux pour avoir confiance dans son étrange père qui dirige la compagnie de mechas, et trop jeune pour pouvoir gérer le désespoir humain qui ronge Neo-Tokyo 3. Pour Shiro Sagisu, en 1995, c’était le début d’une longue série d’accompagnements d’oeuvres de ce genre, entre les Final Fantasy VI et l’ensemble des séries animées Berserk. À l’inverse du travail de Kenji Kawai pour les Patlabor, Sagisu travaille ici avec beaucoup de sonorités acoustiques, rendant mieux que jamais la fragilité inhérente à cet immense classique. (Émile)

Various Artists

Maghreb K7 Club - Disco Singles Vol. 2

Les Disques Bongo Joe continuent de régaler avec des sorties concentrées non sur des albums entiers, mais sur des singles. L’occasion de rappeler que loin d’être des œuvres incomprises à leur époque et qu’on redécouvre ‘sachemment’ aujourd’hui, les disques réédités sont également des nids de titres qui ont marché à leur époque, notamment dans des formats radio. C’est le cas de Hanini, un trio de raï célèbre au début des années 2000, issu du nord de la France, et qui s’est fait remarquer pour son titre « Allaoui », reprenant un chant guerrier de la région d’Oran, et qu’on trouve sur leur disque Africains du Nord. C’était sur ce même disque qu’on pouvait entendre un featuring avec la célèbre Cheba Zahouania, petite preuve de leur renommée de l’époque. Pour le troisième titre, Bongo Joe a misé – une nouvelle fois – sur Rachid Baba Ahmed. Décidément hors de toutes les évidences raï de ces trente dernières années, celui qui était au cœur du volume 1 de cette compilation est de retour avec un titre très house, contrastant avec les deux instrus survitaminées en synthé de la K7 précédente. Alors pour continuer à faire vivre l’incroyable époque du raï et pour que les cassettes ne meurent pas, on dit merci les Disques Bongo Joe. (Émile)

Sonic Youth

Live In Brooklyn 2011, NY

Le 17 août 2019, Sonic Youth était en concert au Murmrr Ballroom de New York. C’est, à ce jour, leur véritable dernier show, et très possiblement l’ultime. Alors pourquoi faire tout un foin autour de ce live de 2011 paru il y a quelques semaines sur leur label, Goofin’ Records ? Parce que malgré ce concert de 2019, tout le monde s’accorde à dire que le live à Williamsburg est celui qu’on doit considérer comme le terminus de la légende. Quelques mois après, la séparation entre Kim Gordon et Thurston Moore va endommage l’intégralité du groupe, et plus rien ne sera comme avant. Dans ces dix-sept titres particulièrement garage, on retrouve, mieux que la quintessence du groupe, son fondement même. D’où la présence, à côté de nouveautés de l’époque comme « Calming The Snake » ou « Sacred Trickster », de titres des débuts comme « Flower » ou « Death Valley ‘69 », qu’on retrouvait dès 1985 sur Bad Moon Rising. Arrivé en plein milieu de la folie des bootlegs et raretés balancée aux fans il y a deux ans, le live à Brooklyn prend enfin forme, s’offre une belle et définitive édition, pour compléter une discographie qui ne bougera plus. Non, bien évidemment, on continuera à voir émerger deux ou trois EPs sortis de nulle par an, mais disons que ça fait un bon checkpoint pour les collectionneur·ses. (Émile)

Jon Hopkins

Immunity

Jon Hopkins est-il la légende qu’on imaginait lorsqu’Immunity sortait en 2013, il y a dix ans ? Pas certain. Il faut dire que les sorties ne se sont pas enchaînées comme prévues, puisqu’à part un très apprécié Music For Psychedelic Therapy sorti en 2021, on a vu beaucoup (beaucoup) de concerts de Jon Hopkins, et un Singularity qui n’est autre qu’une version acoustique et chill du disque de 2013. Mais l’influence de ce disque est énorme : capturant le point de rencontre de l’electronica, de la fin de période de la minimal techno à l’allemande et d’une velléité d’encadrer le tout par un peu d’IDM, Immunity est un point de passage obligé des années 2010, bien que son nom aurait fait un carton en 2020. Et tant qu’à faire ça, autant le faire bien : la version digitale et le vinyle fraîchement paru font la part belle aux inédits et remix, puisqu’on aura droit au double de la proposition originale. L’occasion d’ancrer un peu plus Jon Hopkins dans sa légende toute particulière. (Émile)