Concert

Primavera Sound (Weekend 1)

Barcelone, le 2 juin 2022
par Gwen, le 28 juin 2022

Il y a plus d’un an, la légendaire kermesse catalane balançait le line-up monstrueux qui allait constituer son retour aux affaires après deux éditions balayées par le Covid. L’événement promettait de compacter plusieurs centaines d’artistes affamés comme jaja lors de deux weekends consécutifs, un certain nombre de headliners répétant leurs apparitions sur les grandes scènes tandis les plus petits poissons se dispersaient sur les autres dates officielles et dans toute la ville durant la semaine d’intervalle. Grosse ambition donc, pour un festival qui n’a jamais eu peur de rouler des pecs face à la concurrence.

La poussière ayant eu le temps de retomber, nous faisons le point sur le premier weekend, alors que nous soignons encore notre sévère déshydratation et notre spleen post-festival. 

 

 

Les pouces en bas

Le (non-)débit de boissons 

Notre expérience de gros soiffards est formelle : les bars du Primavera n’ont jamais été le point fort du festival qui, heureusement, a toujours su se rattraper sur le reste. Mais en cette douce soirée du jeudi 2 juin, il fallait compter environ une heure pour remplir son gobelet. Derrière le bar, on a pu observer une poignée d’étudiants affolés, écartelés entre des terminaux de paiement en rade et trois pompes à bière dignes de la maison des jeunes de Chaumont-Gistoux. Seuls la patience et le sang-froid des festivaliers auront réussi à éviter un dénouement dans les larmes et le sang. Dans leur coin, les trois pauvres points d’eau mis à disposition accusaient les mêmes files interminables. De toute évidence, le message a dû atteindre les oreilles des personnes en charge puisque ce vautrage a plus ou moins été réglé dès le lendemain. 

Le nouveau plan du site 

Bien davantage que le manque de liquide dans le gosier, le nouveau positionnement de certaines scènes s’est avéré être un désastre absolu qui n’a malheureusement pas trouvé de résolution avant la fin des festivités. Lorsqu’un compte Insta baptisé "PrimaveraSucks" apparaît moins de huit heures après l’ouverture des portes, on peut raisonnablement se dire que ce n’est pas bon signe (RIP aux modérateurs du compte officiel). Un Parc Del Forum visiblement peuplé bien au-delà de sa capacité habituelle, un goulot d’étranglement dans lequel nous avons vu notre vie défiler à la sortie de la scène Binance et des équipes de sécurité nerveuses ont rendu la circulation particulièrement pénible. Les deux plus grandes scènes, à l’origine placées face à face, sont désormais plantées côte à côte, garantissant un mouvement de foule façon Braveheart à la fin de chaque concert. Ceux qui veulent quitter la plaine doivent ainsi affronter ceux qui veulent y entrer dans le chaos le plus total. Oubliez également les scènes Dice et Tous si vous avez un emploi du temps serré ou si vous n’avez pas les mollets assez solides. Le pont qui les reliait au secteur principal a été fermé par les autorités, vous forçant ainsi à tripler la distance qui vous sépare de vos DJs préférés. On ne voudrait pas avoir l’air de dramatiser mais certains moments nous ont fait craindre de terminer au JT de 20h. 

 

 

Les annulations en cascade 

Galère après galère, test positif après test positif, une dizaine de noms s’est vue rayée de l’affiche, que ce soit plus d’un mois avant la date (Massive Attack) ou à la veille de leur passage (The Strokes). A ce niveau, la frustration était clairement palpable. En ce qui nous concerne, les annulations de Bikini Kill ou Turnstile ont davantage érodé notre moral que celle des Strokes qui avaient clairement laissé leur charisme au vestiaire lorsque nous les avions croisés à Bilbao. En s’accrochant au verre à moitié plein, on constatera que leur absence a donné l’occasion à des groupes qui étaient réellement contents d’être là de briller pleinement. On pense aux gars de Mogwai qui ont enfin pu grimper sur une scène à leur hauteur ou aux monstrueux King Gizzard qui, malgré un covidé dans leurs rangs quelques jours plus tôt, ont tout bonnement retourné le terrain à la pelleteuse. 

Tame Impala 

Ou comment piquer du nez dans son Aperol Spritz. Ou comment ce cornichon géant de Kevin Parker arrive à sonner encore plus chiant que sur album. 

Nos coups de soleil 

Soleil de la plage de Barcelone 1, crème solaire pas assez tartinée sur les gambettes 0. Ou comment avoir une nouvelle recherche Google sur les gestes à éviter et à adopter face à la peau qui pèle. 

 

 

Les pouces en l’air

King Tyler et Queen Simz 

Voilà deux vainqueurs qui ont presque eu l’air surpris de leur propre succès et on s’en est réjoui avec eux. Avec son énergie mal canalisée de clown borderline, Tyler the Creator nous avait un peu laissés sur le bas-côté lors de sa performance au Primavera 2018. Quatre ans plus tard, ce n’est pas le même lascar qui arpente la grande scène. Il avait beau être tout seul au milieu de ses plantes en plastique, il occupe l’espace avec une assurance en titane, abat sans essoufflement un best of sur mesure et récompense le public avec de la vanne de qualité. Tyler dose ses effets et chouchoute son audience mais parvient encore à s’étonner que les gens en redemandent. Dans le théâtre de la scène Cupra, c’est Little Simz qui laissera son empreinte le deuxième soir. La fosse déborde d’Anglais qui maîtrisent ses couplets à la virgule près, donnant ainsi le change à la Londonienne qui n’était visiblement pas préparée à une telle avalanche de love. Leçon de classe et de générosité, Little Simz pourrait dérouler son flow pendant des heures sans que personne ne remarque le soleil se lever. 

Pavement 

Certaines personnes (selon les derniers calculs, une) chez Goûte mes Disques pensent que Pavement est le meilleur groupe des 90’s et que Stephen Malkmus a dans ses doigts et sa caboche le Génie du Songwriting. En cinq albums essentiels, les Américains ont su mettre en jachère le rock alternatif pour permettre sa fertilité. Soyons clairs, en 2022, pas un seul groupe de cette scène ne doit pas quelque chose à Pavement. L’annonce de leur reformation pour une tournée avait déjà mise à rude épreuve nos cœurs sensibles ; on risquait donc la syncope sous le coup de l’émotion en assistant à leur concert au Primavera. Finalement, il n’y a pas eu de drame à déplorer. Même pas celui d’avoir le groupe en petite forme et négligent, comme c’était trop souvent le cas pendant leur existence. Nous avons eu droit à une set-list rêvée, un enthousiasme communicatif, Pavement et Malkmus sincèrement ravis d’être là et un public multi-générationnel reprenant à tue-tête les morceaux… Pendant presque deux heures de flottement magique, les quinquagénaires éternels slackers étaient les Rois de notre monde. Et ce n’est pas les yeux brouillés par les larmes qu’on a pu voir un peu partout dans la fosse qui contrediront ce diagnostic. 

 

 

Nick Cave 

C’est tricher que de mettre l’artiste légendaire et ses Bad Seeds dans les points forts. C’est une évidence tant renouvelée à chaque concert et chaque festival qu’on peut se demander si une remarque dithyrambique de plus y changera quoi que ce soit. On parle du probablement plus grand frontman vivant. Pourtant, Nick Cave et toute sa talentueuse clique arrivent encore à nous bluffer par leur maîtrise et par leur je-me-bonifie-avec-l’âge-comme-le-vin-isme. La setlist continue à évoluer ainsi que les twists et remaniements apportés aux titres culte. Le chanteur charismatique tient dans la paume de sa main et joue avec les émotions de milliers de personnes. Le combo "Bright Horses" / "I Need You" / "Waiting for You" dédicacé à ses deux fils encore vivants a tout simplement ravagé le public barcelonais. Quand pas un seul bruit (à part les pleurs et les reniflements) n’est perceptible pendant une dizaine de minutes, on peut parler de magie de la communion et de la gorge nouée. On veut bien connaître l’Apocalypse à condition que Nick Cave soit notre prédicateur. 

Les guitares 

Certains auront beau marteler que le rock est moribond et qu'il faut se réveiller tôt pour en essorer les dernières gouttes de jus, force est de constater que c'est du côté des guitares qu'on a globalement perdu le plus de neurones (dans le sens positif de l’expression). Comment ne pas prendre un panard intégral devant la symphonie tympano-destructrice de Tropical Fuck Storm ? Devant les Japonaises d’Otoboke Beaver et leur punk casant plus de surprises et d’originalité en 30 secondes que toute la discographie de Phoenix ? Devant black midi manquant de provoquer une faille sismique ? Mention spéciale à Idles ; y a pas à se couper les cheveux en quatre : là où "Danny Nedelko" passe, le public trépasse (de joie dans le pit).
Niveau dressage de poils, c'est une Sharon Van Etten majestueuse qui s'est occupée de fournir l'électricité statique tandis que The Armed nous a carré l'une des plus grosses baffes du festival. Comment se faire piétiner par un troupeau de bisons et être impatient de réitérer l'expérience en salle... 

 

 

L’Auditori Rockdelux 

Marcher, c’est nul. Marcher en plein cagnard, c’est encore plus nul. Pour celles et ceux qui se reconnaissaient dans ce cri de guerre politique, l’Auditori Rockdelux était taillé sur mesure et parfait pour soigner sa gueule de bois et bénéficier d’un repos mérité. Gigantesque auditorium aux places assises, on pouvait y assister à des moments de grâce que seule la très bonne acoustique du lieu pouvait permettre. Certes, cette salle se méritait puisqu’elle n’était ni tout à fait à l’intérieur ou à l’extérieur du site du festival. Un casse-tête pouvant paraître décourageant avant même d’avoir sorti la boussole pour se repérer. Mais une fois plongés dans le noir, les spectateurs ont pu s’émerveiller devant des sets variés et exigeants. Tous les goûts étaient dans l’Auditori ; de la crise existentielle devant The Caretaker à l’art-pop de Jenny Hval, de la parenthèse magique de Low à l'électro expérimentale aussi rare en live qu’une licorne dans la forêt de Saint-Amand d’Autechre. Assurément un des secrets les mieux gardés et défendus du festival. 

Shellac 

Evidemment.

 

Crédits photo : Gaelle Beri / Sergio Albert / Clara Orozco / Kimberley Ross