Concert

Four Tet

Le Zénith, Paris, le 27 janvier 2024
par Jeff, le 2 février 2024

“Four Tet is becoming the drunken uncle of EDM”; voilà la description peu flatteuse de Kieran Hebden que l'on retrouve dans la section commentaires d’une vidéo YouTube baptisée “Four Tet dropping COUNTRY RIDDIM - compilation”. On y voit l'ancien poster boy de la folktronica et ses nouveaux copains Fred again.. et Skrillex occupés à troller en balançant une monstruosité brostep qu’on ne l’aurait jamais imaginé jouer à l’époque où il traînait avec J Dilla et Steve Reid. En réalité, tout ceci est révélateur de la notoriété acquise par KH en 2024 : depuis son virage house du début des 2010’s, l’Anglais est plus bankable que jamais.

Pour autant, Kieran Hebden n’a rien d’un opportuniste : c’est juste un type extrêmement doué qui, depuis trente ans, bondit d’une scène à l’autre (post-rock, ambient, trip hop, micro house, ou même free jazz, rien ne l’effraie). Bref, ça maîtrise son sujet. Et tant pis si aujourd’hui il est invariablement associé à deux des plus gros noms de la musique électronique des années 2020. D’ailleurs, on sent que le type prend un vrai plaisir à faire un peu n’importe quoi avec la Pangbourne House Mafia, du nom du village dans lequel les trois producteurs se sont retrouvés il y a 2 ans pour faire de la musique ensemble. Et ce set de cinq heures au Zénith de Paris, il s’inscrit dans cette dynamique, qui l’a aussi amené à Coachella ou au Madison Square Garden.

Comme à peu près tout le monde samedi dernier, on n’a pas payé 35 euros pour entendre le Four Tet de ses propres albums - ou pas trop. Pour ça, il y a le live et comme on vous le racontait en 2019, l’éclate était ce soir-là du niveau d’une séance de repassage devant une rediff’ de Faites entrer l’accusé. Non, on y allait vraiment pour un cahier des charges beaucoup moins intello : humer des flatulences de Transformers signées Skrillex, groover comme des dindons sur des inédits de ses copains (celui de Daphni valait bien un acouphène), ou se faire poncer nos égos de sachants par de vieux classiques techno ou drum & bass, le tout dans une ambiance digne d’un bal des pompiers.

Bingo : quand on a débarqué dans un Zénith déjà plein à craquer après une heure de set, une foule compacte entourait un Four Tet logé en plein centre de la fosse, et qui ne ménageait pas sa peine pour faire vibrer une salle de concert particulièrement impersonnelle. Bien aidé par un son excellent et un light show minimaliste, mais efficace, Four Tet a surtout soigné sa sélection, à défaut de faire étalage d’une technique qu’on sait correcte, mais pas phénoménale non plus - n’est pas Joy Orbison qui veut, pour citer un artiste qui aura été joué à plusieurs reprises, déclenchant invariablement un zbeul pas possible, comme sur “flight fm”, déjà l'un des singles de 2024.

Cinq heures c’est long, et il est très facile pour un DJ de s’égarer dans le tunnel de BPM qu’il a lui-même bâti. Four Tet n’étant pas une machine, la soirée aura eu ses moments creux, inévitables, et peut-être nécessaires aussi pour repartir de plus belle - c’est probablement pour cette raison qu’en plein milieu de la soirée, il a joué un morceau de Toumani Diabate & Sidiki Diabate comme pour nous signifier son envie de remettre le compteur à zéro. Mais dans l’ensemble, les baisses de régime auront été bien moins nombreuses que les poussées de fièvre (on a atteint le 40° sur cette turbine de Daniele Papini) et les contre-pieds malins (comme quand il a déposé le sample vocal de son tube “Looking At Your Pager” sur ce vieux titre de Patrice Baümel). Le Four Tet des platines est finalement assez proche dans l’esprit du Four Tet de studio : un artiste soigneux et méticuleux, ce qui a eu le mérite de rendre la dernière heure de set d’autant plus jouissive, Four Tet organisant un mariage forcé entre Minor Threat, LFO ou Miriam Makeba.

La carrière de Four Tet a pris son envol plus ou moins quand a débuté l’aventure GMD. Autrement dit, on suit le bonhomme depuis très longtemps, et c’est un réel plaisir de le voir aujourd’hui faire le trait d’union entre toute une constellation d’artistes qui ont joué un rôle important dans nos vies - de Thom Yorke à Burial en passant par Floating Points. Mais on a l’impression qu’il est désormais un homme de Main Stage et d’happenings, et qu’on a finalement peu profité de lui dans l’intimité d’un club, où sa versatilité fait des merveilles. Mais à voir le sourire radieux qu’affichait Kieran Hebden quand les lumières se sont rallumées, on a compris qu’il était exactement là où il voulait être, et c’est évidemment le plus important.