Concert

Deerhunter

Maifeld Derby, Mannheim , le 15 juin 2018
par Hugo, le 26 juin 2018

Ce papier sur le Maifeld Derby de Mannheim pourrait revenir en long et en travers sur l'impeccable organisation de ce festival.  Il pourrait aussi s'épancher sur la performance de Nils Frahm, et sur sa capacité à faire l'unanimité malgré l'ambition de ses performances. Ce papier pourrait parler du nouveau set de Jon Hopkins, et sur le fait que son Singularity offre en live un matériau d'une radicale efficience, telle une sommation autoritaire au dodelinage de croupion. Les lignes qui vont suivre traiteront d'autre chose. D'une performance qui aura laissé à son terme un auditoire groggy. Une de celles rare, qui confère au silence qui lui succède un caractère mélancolique quasi-insupportable. 

Trêve de teasing: Deerhunter est l'objet de ces louanges. Rien de très surprenant après tout, tant la solide réputation du quintet d'Atlanta en live est un secret de polichinelle dans le milieu du rock indé. A ce titre, le groupe attirait ce vendredi soir une fanbase en provenance d'un rayon de plusieurs centaines de kilomètres alentours, anonyme comme émue au moment de voir poindre sur scène l'ombre de Bradford Cox. Loin de nous l'envie de nous vautrer dans une logorrhée moralisante sur l'état de santé du chanteur ci-nommé, mais le charisme singulier de son atypique silhouette, taillée dans sa chair par le syndrome de Marfan, nous rappelle que le groupe revient de loin (Cox, victime d'un accident de voiture fin 2014 était à deux doigts d'y passer). Tel un improbable cosplay de Liza Minnelli, c'est arborant une improbable moumoute noire qu'il mène la danse. Avant que les guitares fusent.

La langueur de cette première envolée lyrique laisse pantois, telle une tarte aux doigts en pleine poire. Le son est d'une pureté folle, presque cristalline. On reconnait aussitôt le classique "Cover Me Slowly", l'intro d'"Agoraphobia". Lorsque le morceau-titre suit, l'improbable sensation se confirme, et vient balayer d'un revers de la main le désagréable souvenir de la bouillie sonore de l'arnaque Pitchfork Festival de 2015. Au delà des qualités intrinsèques du groupe, le caractère mémorable de la prestation de vendredi dernier se sera avant tout exprimé dans des considérations techniques. La balance et la spatialisation  du son permettent aux américains de maîtriser parfaitement leurs effets, offrant au psychédélisme de leurs partitions tout le relief nécessaire. De la 4K sonore, rien de moins. 

Après "Revival", autre morceau emblématique de la formation, cet enchaînement nous interpelle: Cox et sa bande vont-ils se cantonner à du fan-service avec une setlist sans prise de risques? Oui et non. Non car c'est à ce moment là que suivent pas moins de 4 morceaux totalement inédits, probablement issus de leur prochain album Why Hasn't Everything Already Disappeared?, produit par Cate Le Bon et à paraître probablement cet été.  Oui, car les morceaux qui suivent semblent radicalement éloignés des titres les plus abstraits du groupe. Jamais la musique de Deerhunter n'a semblé aussi lisible, dans le bon sens du terme. Ces morceaux jouent sur les émotions sans emprunter leurs habituels chemins tortueux.  Pourtant torturés comme à l'accoutumée, ils offrent au groupe une immédiateté bienvenue, laissant augurer un très grand disque. 

Ce papier pourrait se poursuivre en mettant en avant la variété de registres qui ornent la palette de Deerhunter en live. Il siphonnerait alors le champ lexical de l'onirisme ("he would have laughed",  "helicopter"...) et mention serait faite du naturel avec lequel Bradford Cox enfile le costume de crooner ("take care"). Plutôt que de me perdre en conclusions péremptoires aussi objectives qu'une plaidoirie de Saul Goodman, on va plutôt vous laisser juger sur pièces. Vous trouverez juste là dessous un live frais de la semaine de Deerhunter enregistré il y a une semaine au Best Kept Secret Festival. Je vous en prie. 

crédit photo: Florian Trykowski