Wait For Love

Pianos Become The Teeth

Epitaph – 2018
par Alex, le 14 mars 2018
6

Si la perte d’un proche n’est jamais un événement simple à négocier, il n’est pas étonnant de voir des musiciens utiliser leur art pour exprimer leurs émotions de manière cathartique et thérapeutique. Lorsque Pianos Become The Teeth débarque en 2009 avec Old Pride, premier disque plutôt prometteur aux accents post-hardcore/screamo, les problèmes de sclérose du père de Kyle Durfey, chanteur de la formation de Baltimore, planent comme un esprit malveillant sur l’ensemble des morceaux. Deux ans plus tard, sur le formidable et déchirant The Lack Long After, le pire est arrivé et l’accablement qui se dégage de ses lignes vocales est extrêmement perceptible. C’est à partir de ce moment là que le groupe décide d’aller de l’avant pour conclure ce douloureux processus de deuil et tourner le dos à la mort.

Quand les Américains signent sur Epitaph Records pour sortir après 4 ans d’absence leur troisième disque Keep You, une page de leur histoire semble clairement s’être tournée et la transition musicale qu’ils opèrent à ce moment là surprend. Le chant clair chasse les cris perçants et les mélodies à fleur de peau l’emportent sur la violence des guitares. Une reconversion déroutante vers un son plutôt emo / indie, relativement éloigné de leurs débuts et qui prend la forme d’une prise de risques enthousiasmante ou décevante, c’est selon. Au moment d’aborder la sortie de Wait For Love, à nouveau sorti sur le mastodonte américain, c’est à un groupe bien plus serein et à l’identité assumée que l'on a affaire.

Dès les premières notes de « Fake Lightning », le chant fragile de Kyle Durfey annonce son retour et l’on se laisse irrémédiablement emporter par le jeu de batterie de David Haik, impeccable de précision, et les guitares lumineuses du duo Chad Mc Donald/Mike York qui s’entremêlent façon post-rock. Si les singles « Charisma » et « Bitter Red » nous laissent toujours perplexes voire déçus vu leur manque de relief, le groupe relève vite le niveau avec le touchant « Dry Spells », notamment grâce à ses harmonies étincelantes et son ambiance lancinante. Assurée par Will Yip, la production très policée semble à la fois capable d’illuminer certains morceaux comme sur « Manila » et paradoxalement les rendre plus fades, à l’image de l’éthéré mais futile « Bay Of Dreams ».

Quoi qu’il entreprenne, Pianos joue sa partition à cœur ouvert, explorant avec vulnérabilité et délicatesse un large spectre d’émotions.  Mais si Wait For Love dispose de bonnes intentions au niveau de la composition et propose quelques instants de grâce comme sur les superbes « Forever Sound » ou « Love On Repeat », l’album semble toutefois souffrir d’un léger manque d’intensité et de l’absence de vrais sommets sur la durée. Les textes et l’interprétation de Kyle Durfey sont toujours aussi intenses, mais Wait For Love se révèle un poil inégal et inconstant comparé à ses prédécesseurs. Un album plutôt inspiré mais qui fonctionne un peu trop par à-coups. Peut-être la tristesse sied-elle mieux à ce groupe ? Quoi qu’il en soit, Pianos Become The Teeth continue d’écrire son histoire avec sincérité, caractère et sensibilité, et c’est finalement déjà pas si mal que ça.