Topical Dancer

Charlotte Adigery & Bolis Pupul

DEEWEE – 2022
par Aurélien, le 24 mars 2022
9

Le hasard fait plutôt bien les choses : le 4 mars dernier paraissaient simultanément le premier long format de Charlotte Adigéry & Bolis PupulTopical Dancer, et le troisième album de StromaeMultitude. Et s'ils touchent des publics bien différents, ces disques illustrent une certaine façon de faire de la pop en Belgique, en s'emparant de thématiques sombres pour les emmener sur une piste de danse. Chez Stromae, c'est une marque de fabrique depuis "Formidable" ou "Papaoutai". Chez Adigéry et Pupul, si l'approche est un peu moins grand public, ce sont aussi des sujets qui étaient largement abordés sur leur premier effort en commun, le Zandoli EP de 2019 - on pense bien sûr à "Paténipat", tube minimaliste dans lequel la Gantoise s'époumone en créole sur une phrase répétée à l'envi et qui pourrait se traduire par : "si dans la vie tu te sens fatigué, jette du lest et redeviens toi-même"

Jeter du lest, c'est plutôt une bonne idée en 2022 : on sort d'une pandémie pour rentrer dans une guerre, avec le spectre du dérèglement climatique en arrière-plan. En un mot comme en cent, le futur est sombre. Et la musique électronique a toujours su s'emparer de thèmes pas très jouasses : ce décalage entre son thème et sa forme dansante, c'est quelque chose que l'on retrouvait déjà dans la techno de science-fiction de Dopplereffekt, avec ses robots pornstars ou ses appels à la stérilisation de l'humanité. De l'autre côté du spectre, là où le verre est plutôt à moitié plein, on retrouve Topical Dancer : s'il a la respiration d'un disque de musique électronique dans la structure de ses morceaux, il a clairement la sensibilité d'un disque pop bien dans son époque, avec ce qu'il faut de tubes et de productions pensées pour séduire les masses. Tout cela sans oublier de cocher quelques cases dans le cahier des charges de DEEWEE, la structure des deux frangins de Soulwax qui ont co-produit et co-écrit le disque. 

Sans reprendre complètement l'histoire là où Zandoli EP l'avait arrêtée, le tandem profite du format album pour sortir de sa zone de confort, s'offrant quelques grands écarts qui permettent au disque de briller sur des terrains escarpés. C'est particulièrement vrai sur le zouk au ralenti de "Hey" ou encore sur "Ich Mwen" sur lequel la chanteuse invite sa mère pour un dialogue dont la production robotique sert parfaitement des paroles qui sauront parler aux jeunes parents. Moins concentré que sur le format EP, Topical Dancer réussit le pari du patchwork grâce à l'immense complicité de son binôme. Le disque n'oublie cependant pas de renouer avec un grand nombre de thématiques de son prédécesseur : le féminisme bien sûr, mais aussi et surtout l'identité, le disque naviguant assez volontiers entre l'anglais, le créole et le français. Des thématiques chères à Charlotte Adigéry qui profitent des écrins de Bolis Pupul pour prendre une forme qui rappelle la fausse naïveté des compositions de Tom Tom Club, ou encore la formidable audace des Talking Heads. Pas sûr que ce soit involontaire d'ailleurs quand on se permet d'appeler un morceau "Making Sense Stop" - les vrais sachent.

Topical Dancer est une machine à broyer les égos, les clichés, et la haine de l'autre. Un grand disque de pop contemporaine qui convie le vivre-ensemble sur un dancefloor, et qui ne perd jamais de vue son objectif premier : faire danser les gens intelligemment, et leur permettre d'un peu oublier l'époque triste qui l'a vu naître.