Sunny Side Up

Various Artists

Brownswood Recordings – 2019
par Émile, le 1 août 2019
8

Si Brownswood Recordings n’est pas un label comme les autres, c’est bien grâce à Gilles Peterson. Traiter le jazz comme un DJ, en cherchant le track, la mixtape, le son qui se calera à merveille dans un set, ça n’a rien à voir avec le traditionnel travail de repérage de musiciens – dans le label anglais, pour autant, les deux sont faits à la perfection. C’est pour cette raison que We Out Here, la compilation qui racontait la nouvelle scène londonienne, nous avait autant mis en joie : elle était construite comme une aventureuse déambulation à travers les rues de la capitale britannique. Le seul petit bémol pour la réception fut la présence de « tubes » qui venaient rapidement désaplanir l’écoute malgré le plaisir qu’on avait eu à les découvrir. On pense évidemment au phénoménal « Abusey Junction » de KOKOROKO ou à notre chouchou Joe Armon-Jones. En restait une excellente compilation, mais on en avait perdu le mystère.

Pour notre plaisir, le seigneur Peterson a remis le couvert de l’autre côté de la planète. Sunny Side Up, second cru des compilations poliades étiquetées Brownswood, nous embarque pour une promenade dans la dépaysante Melbourne. Sans être la capitale du pays-continent qu’est l’Australie, Melbourne est pourtant bien – de très loin – le lieu le plus cool du pays, et probablement une des plus belles destinations de l’hémisphère sud. Dans la ville dans laquelle la météo change toutes les cinq minutes mais n’emmerde jamais personne, les clubs prolifèrent, les soirées se multiplient jusqu’à plus soif, et c’est un vent de fraîcheur qui souffle sur une jeunesse aisée et prête à gaspiller sa thune dans des concerts de qualité. Pas étonnant donc, qu’à côté d’événements aussi particuliers que le Let Them Eat Cake pour les musiques électroniques, on trouve une grosse scène musicale prête à investir des genres aussi en vogue que le new jazz. Mais c’est aussi une surprise de découvrir qu’il y a autant à documenter dans une ville qui n’avait jusque-là pas véritablement sa place sur la carte du jazz.

Voilà ce qu’on attendait vraiment de cette compilation : qu’elle nous emmène par la main dans une ville qu’on pensant à mille lieux des codes jazz et qui ne nous ferait aller que de surprise en surprise. Sur ce qu’on imagine être également un continent de découvertes, Peterson a sélectionné neuf formations capable de rendre compte en une semaine d’enregistrement la bouillonnante vie de Melbourne. Mais il n’est pas pour autant parti seul avec un Zoom et un sac à dos : le projet de Sunny Side Up s’est construit autour de Hiatus Kaiyote, un groupe influent de la scène local et que Gilles Peterson avait repéré depuis des années. Autour de Nick Herrera, membre du groupe et ingénieur du son, ce sont neuf formations qui se réuniront dans le mythique studio The Grove de Coburg (banlieue nord de Melbourne) pour tenter de capter un maximum d’éléments d’une scène qui a bien plus à offrir que le reste du monde ne le pense.

Dans Sunny Side Up, on ne trouve aucune personne déjà présente sur nos tablettes, hormis Silentjay, signé sur le label anglais Rhythm Section, mais on comprend vite que tous les musiciens et musiciennes se connaissent et que des collectifs sous-tendent la fluidité du jeu qui sera à entendre sur le disque. Et d’une manière générale, on sent la proximité forte qui lie ces collectifs à Brownswood : la musique de Sunny Side Up est une musique proche du grand ensemble des musiques black , allant piocher dans la soul et le Rnb, parfois de manière subtile, parfois en mettant les pieds dedans, comme le « Nice To See You » de Laneous ou le « Bleeding Hearts » d’Audrey Powne. Mais si sur certains passages, on a l’impression que tout aurait pu aussi bien émerger de Londres - et c’est peut-être le seul reproche qu’on ferait à la compilation - il faut admettre que l’album sait aussi bien tirer du côté de l’originalité australienne. Par la présence de percussions tribales rappelant la présence originelle des Aborigènes, notamment chez Kuzich (même si ça pue l’appropriation culturelle), mais surtout par un côté house très marqué sur le disque. Sur une petite boucle ou carrément sur un track entier, Sunny Side Up rappelle la club culture de Melbourne, ses rooftops à l’ambiance détendue et son goût caractéristique pour le groove. A ce titre, on met une petite étoile sur le morceau de Horatio Luna, par lequel on vous conseille de commencer la découverte.

Vous doutiez du fait que Melbourne soit une des villes les plus cool du monde ? Et bien c’est fini. Brownswood et le gourou Peterson ont encore une fois réussi à aller chercher la liqueur de ce qui se faisait de mieux dans une scène qui, malgré son éloignement, n’avait pour autant pas besoin de nous pour exister. Il y a un monde de l’autre côté du monde, ça fait toujours du bien de se le rappeler.