Something Shines

Laetitia Sadier

Drag City – 2014
par Michael, le 20 novembre 2014
6

En 2014, on ne parle plus de Stereolab. A vrai dire, cela fait bien longtemps qu’on ne parle plus de Stereolab. A juste titre, me direz-vous, puisque le groupe est entré depuis son dernier album (Not Music, 2010) dans ce que l’on dénomme poliment une période de hiatus. Une jolie expression sans doute inventée par un normand pour éviter de dire trop clairement qu’on jette l’éponge, ou du moins qu’on n’est pas près de s’en resservir de sitôt.

A part être un de ces insupportables nostalgique des nineties (une maladie génétique très en vogue depuis quelques temps, vous l’aurez sans doute remarqué), et dont nous ne nieront pas être un cas patenté, peu de gens se réfèrent encore à ce qui, au vu d’une frange de la production actuelle pourrait quand même passer pour une des grandes inspirations modernes. A part Julien Gasc (Aquaserge) – et pour cause il a joué avec Stereolab, peu citent le groupe qui parait pourtant comme le principal parrain d’une scène allant de Tame Impala, Melody’s Echo Chamber, Moodoïd à The Notwist, en passant par The Oscillation ou une bonne part de ce que l’on appelle la nouvelle scène toulousaine (Hyperclean, Eddy Crampes et Aquaserge donc). 

Rendons donc à César ce qui appartient à César, car avec le recul d’une ou deux décennies, il apparaît clairement que l’apport de Stereolab et Broadcast (il est bon de les signaler également ici) est plus que conséquent au regard des groupes que nous avons mentionnés. A une différence près toutefois : la dimension politique. Stereolab tutoyait aussi bien la musique lounge que le situationnisme, le goût de la volupté mélodique d’un Burt Bacharach que les thèses d’une gauche rouge vif. Un mélange détonnant dont on n’a souvent retenu que les aspects les plus plaisants à l’oreille. Sans rentrer dans l’éternel débat du « Musique et politique font-elles bon ménage ? » (vous n’aurez pas assez de quatre heures pour répondre à cette question), on constate en tous cas que contrairement à ses héritiers, Laetitia Sadier n’a en ce qui la concerne toujours pas mis de Perrier dans son vin. En même temps quand on a fondé son groupe avec Tim Gane (McCarthy, là aussi c’était pas la Compagnie Créole) et été sa compagne, ça ne nous surprend pas vraiment.

On est donc complètement en terrain connu avec ce nouvel album solo et c’est avec un plaisir non feint que l’on retrouve ce timbre et ces inflexions vocales si particulières. Les références à Debord sont également là, tout comme ce goût pour les claviers qui font blip, bzzzz et schhhhhfffuuuuiiii sur fonds de rythmiques motorik et d’arrangements presque smooth jazz. Something Shines est donc un album une nouvelle fois étiré entre d’étonnants paradoxes, dans une forme toutefois plus sobre et plus dépouillée. Et c’est peut-être là que le bât blesse. On a du mal à décoller sur la première moitié de ce troisième album solo. Il manque un peu de levure, oh pas grand-chose, mais la pâte a du mal à gonfler. C’est d’autant plus flagrant quand à mi-parcours s’ouvre le mirifique « Release From the Center of Your Heart » : deux minutes cinquante-six en technicolor qu’on imaginerait bien sortir de la BO fantasmatique d’un Barbarella ultra-gauche. La suite et fin s’avérera mieux tenir la route avec des titres plus solides  que ceux du début, tels que « Echo Port » ou  « Oscuridad ». Something Shines laisse donc au final l’impression d’un disque irrégulier qui pèche peut-être par une ambition musicale un peu mise à distance, et que l’on aurait souhaité égoïstement endossée plus complètement.