Playland

Johnny Marr

New Voodoo Records – 2014
par Amaury L, le 17 novembre 2014
8

Fondateur/auteur/compositeur des Smiths; membre du supergroupe Electronic formé avec son compatriote mancunien Bernard Sumner; session man de luxe pour des albums de Modest Mouse ou encore des Cribs, co-auteur de la bande-son d'Inception aux côtés d'Hans Zimmer; le CV de ce bon vieux Johnny Marr a décidément de la gueule. Est-il encore nécessaire de rajouter que le jeu de guitare de cette figure de style vivante a influencé la plupart des groupes indie des années 80 à nos jours ? Tout le monde a plus ou moins connaissance de l'importance de Marr dans le rock. Pas celui qui aligne les power riffs en tirant la langue comme un attardé (Gene Simmons, si tu nous lis...); non, je parle du rock qui réchauffe les âmes à coups d'arpèges étincelants évadés du tabernacle d'une Rickenbacker, infiniment plus insolents que tous les "Highway To Hell" et les "Smoke On The Water" réunis. Et ce Playland est un cierge de plus à rajouter dans la chapelle des grands albums de rock où la six-cordes a la part belle.

Stylistiquement, ce nouvel (et seulement second) album solo de Johnny Marr reste exactement dans la même lignée que le précédent, The Messenger, sorti il y a à peine un an. Certains ne manqueront pas de s'interroger sur la subite prolixité du guitariste après avoir passé les 20 dernières années à mettre son noble doigté au service des autres. Et bien il se trouve tout simplement que Johnny avait encore une chiée de chansons dans sa valoche à l'issue de sa tournée promotionnelle de The Messenger. Nullement crevé, celui-ci ressentait au contraire un besoin de continuer sur sa lancée, et par les couilles de tous les apôtres, on ne peut que l'en féliciter. Car c'est justement une impression de spontanéité décomplexée qui traverse de long en large ce Playland - titre emprunté au nom d'une salle de jeux mal fâmée de Londres - amorcé toutes voiles dehors sur un "Back In The Box" entremêlant la voix posée et précise de Marr avec ces guitares abrasives sur fond de synthés eighties.

A partir de là, on prend conscience que le festin n'est pas prêt de prendre fin. Le single "Easy Money" déboule avec son riff imparable (qui rappelle tout de même un peu trop le "Dashboard" de Modest Mouse que Marr avait composé avec le groupe en 2007), tandis que "Dynamo" le voit s'illustrer dans un créneau FM proche des Foo Fighters, bizarrement sans que ça lui porte préjudice. Et c'est probablement cela qui nous fascine chez cet artisan à la classe intemporelle : il a ce qu'il faut pour nous faire changer d'avis sur à peu près tout ce qui pourrait nous rebuter, et cela au moyen d'un changement d'accords inattendu ou d'une incursion discrète de nappes de synthés ("25 Hours"), qui dialoguent plus et mieux avec les guitares que sur son précédent album.

D'un point de vue dynamique, le tracklisting est admirablement bien pensé puisque Playland alterne les titres mid-tempos avec des morceaux plus agressifs (le titre éponyme), qui nous rappellent que Marr est autant fan de Slaughter & The Dogs que des girl groups des années 60. On regrettera juste la posture de justicier en mousse qu'il adopte dans ses textes, ponctués de lieux communs (l'argent ne rend pas heureux, les mecs de la bourse de Londres s'en foutent plein les poches à notre nez et à notre barbe, la société court à sa perte,...). On sait pertinemment bien que la tête poétique des Smiths était Morrissey - qui, à l'inverse de Marr, manque d'idées mélodiques dans son dernier album, soit dit en passant - c'est pourquoi on lui pardonne ces quelques errances littéraires en préférant penser naïvement que "sa guitare parle pour lui". Plus qu'un représentant vivant du paradoxe des goûts musicaux de Manchester, Johnny Marr s'impose à présent comme un véritable artiste au sens strict du terme, capable de pondre des morceaux assurément honnêtes, modernes, entêtants et, surtout, fondamentalement rock. Allez, on se repasse un petit "This Tension" et tant pis pour les loups de Wall Street.