Mauvais Ordre

Lomepal

Pinéale – 2022
par Ludo, le 3 octobre 2022
6

À la sortie de Jeannine, Lomepal avait su agacer les plus relous d’entre nous avec son chant malhabile, son nombrilisme stratosphérique, et une structure d’album qui laissait franchement à désirer. Heureusement, la qualité de ses productions, une constante dans la carrière du rappeur, a aidé à faire passer la pilule et permis au Français de gagner les cœurs du grand public. Surmené à force d’enchaîner les obligations médiatiques, Lomepal a décidé de se couper du monde une fois sa tournée terminée. Lui qui était connu pour son ego surdimensionné a fui les réseaux sociaux pendant plusieurs années, laissant sa musique parler pour lui. On le redécouvre trois ans plus tard, avec un album conceptuel de quinze titres sans aucun featuring. Coup d’esbroufe ou nouveau souffle ? Autrement dit, Lomepal a-t-il vraiment changé ?

À première écoute, Mauvais Ordre peut sembler monolithique et grisâtre, avec un storytelling sans réelle porte d’entrée ou de sortie et sans véritable morceau (à l’exception peut-être de « Auburn », qui a été matraqué en radio). Ce sont cette thématique unique et cette apparente étrangeté qui ont piqué notre curiosité. En effet, on suit tout au long de l’album les pérégrinations d’un type assez paumé qui tombe amoureux d’une femme dont on ne sait presque rien, ni même si elle existe vraiment, à l’image de ce visage géant de Souheila Yacoub, la copine du Français IRL, qui occupe la majeure partie de la pochette, avec à ses pieds un tout petit Lomepal qu’on devine ébahi et qui campe le protagoniste de l'album. À travers une comparaison avec le protagoniste principal du Truman Show (« Skit Il »), nous comprenons que cette idylle à sens unique relève avant tout du fantasme et n’a que très peu de prise avec le monde réel. Il pourrait alors s’agir d’une passion psychotique ou bien mieux, d’un délire volontairement bricolé de toutes pièces pour résoudre un mal-être existant.

Le storytelling parfois fumeux contraste avec la musicalité remarquable du disque. Rester simple et aller à l’essentiel sont peut-être les leçons que Lomepal a tâché d’appliquer depuis la sortie du trop boursouflé Jeannine. Musicalement, l’album n’en fait pas trop et dose soigneusement l’utilisation de chaque instrument (notamment la guitare et le piano) pour en garantir un meilleur impact, comme le piano saccadé de « Decrescendo » qui apporte encore plus de tension à la chute du héros. Au casting de la partie instrumentale du disque, on retrouve des têtes bien connues de précédents projets de Lomepal, avec les fidèles Mohave, Pierrick Devin, VM The Don, Stwo et JeanJass, pour ne citer qu’eux. Une équipe qui connait très bien le rappeur et sait parfaitement quelles instrumentales lui proposer pour coller au mieux à ce qu'il a dans la tête. Quant à la prestation de Lomepal, force est de constater qu’il a haussé son niveau en matière de chant. Ses passages mi-chantés, mi-rappés font désormais véritablement corps avec le support. Ses textes sont comme d'habitude assez bavards, mais les rimes semblent moins poussives et appliquées qu’avant. Et même si l’histoire contée aurait pu tenir sur un seul morceau, Lomepal arrive à la développer sur les quinze pistes. 

En définitive, Mauvais Ordre a le mérite de renouer avec Lomepal plus sûr de sa direction artistique que pendant l’emballement médiatique qui a accompagné la conception de Jeannine. Cet album n’est pas parfait, et il aurait certainement gagné à être plus court. Par ailleurs, il faut reconnaître que le concept est inutilement ampoulé. Mais c’est justement ce jusqu'au-boutisme dans la démarche qui fait le charme de ce projet et qui nous porte à croire que la carrière de Lomepal a encore de beaux jours devant elle, peut-être pas toujours pour de grands albums, mais surtout pour les coups de pieds qu'il assène à la grande fourmilière de la pop francophone.

Le goût des autres :