Le Monde Chico

PNL

Indépendant – 2015
par Aurélien, le 27 novembre 2015
7

On peut voir ça comme une bassesse d'esprit, c'est pourtant une réalité commerciale: pour qu'il se vende correctement, un disque de rap doit vivre des mythes qui l'entoure. Il doit faire parler de lui, intriguer, être le fruit d'alliances mythiques ou de déchéances qui le sont tout autant. Tout ça, sans jamais oublier qu'il y à la clé un vrai produit à défendre et à vendre. Un mauvais disque avec une bonne promo restera toujours un mauvais disque, et même un clash d'envergure ne suffira pas à donner une quelconque pérennité à son géniteur. Ainsi, quelqu'un se rappelle que Kizito avait sorti un album après s'être mis 95% du rap jeu de l'époque à dos ?

C'est pourtant sans la moindre promo qu'Ademo et N.O.S a écrasé la concurrence en 2015. Pas d'interviews, pas de mécénat, pas de clashs non plus. A peine une campagne de promo par la sape. Pourtant, ils arrachent le statut de MVP aux ténors proclamés que sont Gradur ou SCH. On ne va certainement pas refaire le match: tout a été dit il y a cinq mois quand on vous a parlé de Que La Familleet on y a pas été mollo sur les dithyrambes.

En cinq mois pourtant, dans cette grande salle de l'esprit et du temps qu'est Internet, beaucoup de choses peuvent changer. La preuve, c'est qu'on peut difficilement évoquer le combo de Corbeil-Essonnes sans craindre des représailles dans un rectangle de commentaires. Et ça, ça en dit forcément long sur le statut qu'ils ont acquis en moins d'une année, sans jamais sacrifier leur statut d'indépendant. Un statut qui s'illustre côté ventes: en une semaine, Le Monde Chico (premier 'vrai' album) s'est écoulé à 16.000 exemplaires, tout supports confondus. Une surprise en forme de braquage sur un marché où l'on commence à considérer un disque comme un succès à partir de 4.000 unités en une semaine, comme ce fut le cas avec le dernier projet de Vald.

Qualitativement parlant, et puisqu'on ne tire pas de conclusions des first week sales, difficile de rester complètement objectif. L'effet de surprise est encore dans toutes les têtes, et les deux frères ont bien compris qu'il fallait sortir Le Monde Chico très rapidement. Pourtant, dans une année qu'ils ont marquée de leur empreinte, Le Monde Chico fait figure de non-événement: c'est finalement la même ode à la bicrave, les mêmes chants grégoriens sous autotune, cette même science du refrain codéiné. La recette n'a pas changé et on privilégie (à raison) la solidité à une quelconque forme de révolution. Tout évolue dans une continuité assumée, à peine froissée par l'animalité exacerbée dont fait preuve Ademo. Une animalité qui lui permettrait presque de prendre l'ascendant sur son frangin, caution mélodique de PNL.

Dix-sept titres, peu de fillers, et une alchimie qui continue à faire des merveilles. Sans réinventer la poudre, Le Monde Chico prouve la capacité du combo des Tarterets à transformer l'essai, tout en restant fidèle à ses codes et ses références. Ce surplace a pourtant du mal à cacher les nuages sombres qui planent sur le futur de PNL: on imagine mal l'excitation demeurer, une fois l'effet de surprise dissipé. On imagine même qu'ils se sépareront, et que leurs carrières respectives emprunteront des directions radicalement opposées. Pourtant, on a le sentiment que le plus important est ailleurs: le duo a posé sur la table des bases nouvelles qui commencent déjà à être distillées, récupérées, et recyclées – à commencer par leurs potes de DTF. Faudra-t-il donc parler du Monde Chico comme d'un nécessaire one shot, le genre de plaque qui sort de nulle part pour donner la ligne directrice des dix ans à suivre ?

Il nous tarde en tout cas d'étudier la résonance qu'aura la jurisprudence PNL sur le devenir du rap français. Et de l'étudier à l'aune des qualités musicales évidentes du duo, mais aussi de leur façon nouvelle de concevoir, vendre, et faire parler de sa musique. D'ici là, les deux frangins peuvent retourner sereinement sur leur planète Namek: si ce premier album aurait pu être ambitieux, il se contentera d'être réussi. 

Le goût des autres :
5 Simon 6 Ruben 8 Bastien 9 Antoine