La vie de star

Hanaa Ouassim

Pan European Recordings – 2024
par Émile, le 5 février 2024
8

Ah, la belle époque ! Taille basse pour les ladies, bomber de lover pour les boyz, voiture nickel, Matt Houston à fond dans l’autoradio : « Tout le monde dit qu'le R&B n'est pas du Hip-Hop, oh oh /Qu'on kiffe parler de sexe pour faire mouiller les meufs, idiots /Dans l'ghetto ghetto ». Dommage que ça se soit perdu, hein ? Et si on s'arrêtait de regarder dans le rétroviseur deux secondes pour apprécier à quel point hip-hop et R&b ont atteint un point de maturité permettant toute sorte de créativité ? Hanaa Ouassim est marocaine, et elle est probablement l'une des meilleures raisons de se dire que le genre a de magnifiques années devant lui.

La belle idée de La vie de star, c’est cette pochette qui ne se comprend qu’en relevant le nez du téléphone sur lequel on écoute l'album. Plus les morceaux s’enchaînent, et plus cette mer scintillante a le goût du mensonge. Un mensonge vendu par les artistes de R&b du début des années 2000, et dans lequel ils se sont eux-mêmes enroulés. On réalise alors que ces étendues d’eau ne sont qu’un lointain souvenir ou un espoir inatteignable, et le titre naïf de l’album et ce rétroviseur prennent une toute autre signification. C’est ce qui donne aux mentions fréquentes des quartiers nord de Paris un fort arôme de mélancolie. Barbès-Rochechouart, La Chapelle et Stalingrad n’existent alors que par rapport à ce qu’ils ne sont pas : des lieux où les gens ont des vies de star. Les références à Lana Del Rey ou à Air France sonnent d'ailleurs de la même manière.

Toutes ces redéfinitions des motifs culturels à paillettes sont rendues possibles par les productions instrumentales de Hanaa Ouassim. Tout au long du disque, elle fait fonctionner une recette qui n’est pas sans rappeler une lointaine lignée qui va de Dj Screw à Lala &ce. C’est lent, parfois si lent que les harmonisations mineures qui pourraient inspirer une douce mélancolie font gravement peser leur poids sur nos oreilles. Hanaa Ouassim ne travaille pas dans la dissonance, mais elle aime laisser planer un doute sur le bonheur que l’on croit ressentir.

Dans « LANADELREY » toujours, les relations humaines, notamment celles au cœur de l’amour, sont perçues sur le ton de l’oubli ou de la crainte. « Hbiba ch'sralik? / Malek m'blokya 3la jouj tsawer?/ Ksiri ksiri khass' tennsay / Horbi ki lana, Khfifa ki lana » : Chérie qu’est ce qui t’es arrivé ? / Pourquoi tu es bloquée sur deux photos ? / Accélère, accélère, il faut oublier / Enfuis-toi, comme Lana, légère comme Lana. Sur « AMG ROMANTIQUE », clairement l'n des titres les plus marquants de l’album, cette nostalgie prend le tournant de l’action. Des rares sorties à Barcelone, on a retenu la lumière de l’amour, (« J’aimerais te revoir / à Barbès-Rochechouart »), et les prods très évidemment inspirées des chansons du Maghreb, mais surtout du raï algérien, prennent enfin un sens autre que celui d’une réalité perdue, lointaine, ou même imaginaire. D’excursion en excursion sur les côtes de la Méditerranée, on peut enfin sourire au rétroviseur et inventer, au moins l’espace d’un instant, cette « vie de star ».

Dans La vie de star, Hanaa Ouassim nous plonge dans une eau douce-amère ; les rêves naïfs du R&b traditionnel ne sont aperçus que de loin, derrière l’épaisse vitre d’une conscience sociale et esthétique particulièrement aiguisée. L’album trouve talentueusement une place à laquelle, il faut l’avouer, personne n’avait encore osé se placer, surtout dans l’écurie Pan European Recordings.