Inferno

Alkpote

 – 2018
par Jeff, le 23 mai 2018
7

A une époque pas bien lointaine, Snoop Dogg était le tonton sympa du rap US, toujours vénéré par ses fans de la première heure, mais aussi respecté par les kids qui mangeaient encore leurs crottes de nez quand sortait Doggystyle. Un MC qui n'avait peut-être plus la superbe de ses débuts, mais qui compensait par un capital sympathie sans commune mesure - c'est le Snoop qui arrivait à être crédible chez Katy Perry ou qui se voyait offrir par Pharrell Williams les derniers tubes de sa carrière. 

Ce rôle d'aimable tonton, on a envie de le donner à Alkpote. Pourtant, c'était loin d'être gagné. En effet, il y a encore 5 ans, quand l'étoile de la constellation Neochrome commençait à pâlir, d'aucuns voyaient le baron de l'Essone errer dans les oubliettes de la street cred. Pourtant, à la faveur de belles rencontres (Butter Bullets ou DJ Weedim) et grâce à une technique qu'il n'aura eu cesse de perfectionner, ALK a effectué l'un des retours gagnants les plus inattendus du rap français en laissant les coudées franches à un personnage d'Empereur de la crasserie dont il aura toujours assumé les excès et maîtrisé les dérapages. Certes, ce n'est pas demain la veille qu'Alkpote ira pousser la chansonnette avec Louane, mais le fait que toute la nouvelle garde se presse pour apparaître à ses côtés et que sa présence dans les plus gros festivals d'été coule de source démontre à quel point le gars a pénétré la matrice.

Et alors qu'on pensait que ce premier semestre 2018 serait l'occasion de dévorer une troisième saison de ses Marches de l'Empereur, Alkpote sort Inferno, un nouvel album sans le moindre featuring. Et ça fait un bien fou. C'est sûr, il est jouissif de le voir imposer son personnage d'une incommensurable vulgarité à tout le reste du rap français, et de constater combien des MC's qu'on dit uniques passent pour de simples faire-valoir quand ils apparaissent aux côtés du Grand Aigle (coucou JeanJass & Caballero), mais il est tout aussi intéressant de laisser le bonhomme seul aux commandes, juste entouré de producteurs qu'il apprécie - peu de têtes connues, mais quand même "Myth Syzer le designer" sur trois titres.

Comme pour Gucci Mane quand il évolue dans la sphère mixtape, la question d'un nouveau disque d'Alkpote n'est pas de se demander si il va embrasser de nouvelles tendances ou pratiquer l'art du contrepied, mais bien si la qualité sera au rendez-vous. Car c'est l'un des principaux écueils d'un genre aussi linéaire que la trap: si les MC's ne sont pas à leur meilleur niveau, on s'emmerde plus que devant la neuvième saison de Scrubs. Ce constat est d'autant plus criant avec Alkpote, dont les rimes salasses, les ad-libs par camions entiers, les scuds à l'adresse des génitrices de la concurrence ou les sempiternelles invitations à lui manger les chouquettes peuvent vite fatiguer quand on sent que l'envie ou l'inspiration n'y sont pas.

Ce qui est sûr c'est que les trois premiers titres d'Inferno rassurent sur la capacité de Serge Gainzbeur à survoler le game: entre deux bangers certifiés ("Trapézistes" et "Survet Noir") et un titre plus aérien qui laisse parler sa passion pour la rime technique ("Traquenard"), le disque démarre sur les chapeaux de roue, noyé dans la crasserie et les références à la pop culture - Virgil Abloh, Brigitte Macron, Gérard Darmon, Alanis Morrissette ou Capucine Anav ont tous droit à leur poke. Conscients qu'il sera compliqué pour Alkpote d'imprimer cette cadence infernale sur le reste de l'album, on accepte sans trop rechigner que le projet rentre un peu dans le rang par la suite, sans pour autant oublier de péter quelques cervicales à intervalles réguliers:  le refrain de "Eau de javel" ("Je suis sale de l'intérieur faut que je boive de l'eau de Javel / Je n'signerai pas dans vos labels, c'est solennel / Je suis vraiment légendaire comme un héros de Marvel") résume en trois phrases la carrière du MC; l'autotune dissonant de "Rachid Taha" en fait un grower de choix et le "John H. Snow" qui boucle le disque confirme bien qu'ALK n'a pas l'intention de changer son fusil d'épaule ("J'f'rai un salut hitlérien si j'vais à Salut les Terriens"). Il est d'ailleurs rassurant de voir Alkpote vissé de la sorte à ses convictions: à l'inverse d'un Snoop condamné à pisser dans les violons pendant les 20 prochaines années, on a l'impression que le chapitre le plus passionnant de la carrière d'Alkpote n'a pas encore été écrit.