Imploding The Mirage

The Killers

Island Records – 2020
par Nico P, le 29 septembre 2020
7

Il y a quelques années, en 2008, à l’occasion de la sortie de leur troisième album, votre fidèle serviteur avait eu l’occasion de discuter durant quelques minutes, le temps d’une interview mal préparée, avec Brandon Flowers, chanteur de The Killers, et le guitariste David Brent Keuning. Le quatuor remplit alors les Zéniths, et leur single "Human", sans aucun doute l’une de leurs pires créations, cartonne un petit peu partout. Et nous, une question nous anime : les Killers auraient-ils pu être autre chose que ce groupe de stade gentiment putassier, qui dès son premier album (Hot Fuss, 2004) ne mentait en aucun cas sur ses intentions, blinder les fosses et faire chanter les foules ? Réponse des deux principaux intéressés : "Nous venons de Las Vegas, où tout est plus grand, plus lumineux, où tout est fait pour t’attirer, te subjuguer. Notre musique vient tout naturellement de là”. Des néons qui brûlent la rétine donc, d’une ville où tout semble faux.

Douze années après cette rencontre, que reste-t-il des Killers ? Deux membres seulement, Brandon Flowers donc, et le batteur, Ronnie Vannucci, Jr. Les autres ont jeté l’éponge, plus ou moins durablement, épuisés par les tournées à répétition. Le NME lui-même n’est plus là pour leur offrir des couvertures avantageuses, et c’est même tout le rock des années 2000 qui a fait fausse route, les Strokes faisant office de seuls et uniques survivants. Les trois premiers efforts des Killers se sont vendus à plus de douze millions d’exemplaires dans le monde, des chiffres d’un autre temps. Les suivants, Battle Born en 2012 et Wonderful Wonderful en 2017, sont eux parus dans une indifférence polie. Auparavant pourvoyeur de singles efficaces ("Mr. Brightside"), et parfois même réellement surprenants et poignants ("Tranquilize", en duo avec Lou Reed), les Killers sont devenus une valeur refuge de festival, tête d’affiche confortable. Comme le rosé (et les Hives), de retour chaque été, avec toujours le même goût sans réelle personnalité.

Pourtant, en 2020, quelque chose d’étrange s’est produit. Une pochette tout d’abord, reproduction de "Dance of the Wind and Storm" de Thomas Blackshear. Sublime. Puis, ici et là dans la presse américaine (Pitchfork pour ne pas les citer), quelques avis favorables, ou carrément dithyrambiques, sur ce sixième album, auquel ont participé Lindsey Buckingham (Fleetwood Mac) et Adam Granduciel (The War on Drugs), ainsi que Weyes Blood. Derrière la console : Jonathan Rado de Foxygen. Et une volonté affichée : tourner le dos à la routine. Mais laquelle ? De toute évidence, cette fuite en avant, cette obligation de voir toujours plus grand, de satisfaire l’égo et l’envie du peuple, quémandant son prochain hit single. Les années 2010 n’ayant pas totalement comblé leurs attentes, et sûrement pas les nôtres, décision fut prise de réduire la voilure. Et depuis "Everything Will Be Alright" sur leur premier album, il ne nous avait que rarement été donné d’entendre des Killers aussi sobres, aussi intimes. Du titre d’ouverture "My Own Soul’s Warning", peut-être leur meilleur single depuis une décennie, au titre final qui donne son nom à l’album, jamais ici le groupe n’a été aussi doux, aussi modéré.

Alors certes, on ne se refait pas, et alors même qu’il cite Bruce Springsteen le temps d’un refrain ("Dying Breed"), très vite Brandon Flowers convoque la cavalerie pour retomber dans la facilité. Mais ailleurs, sur "Blowback" et son riff romantique, sur "Caution", sur "My God", où la présence de Weyes Blood nous enveloppe de coton, on se sent bien. Au chaud. Un album d’une étonnante simplicité, humble presque. Un album pop dans tout ce que le terme a de plus noble. Un album qui ne réinvente rien, mais le fait bien. Un album qui met de côté les stades, à l’heure où ces derniers n’existent plus. Étonnamment dans son époque donc, ce que n’ont jamais été réellement les Killers. 2020, décidément une année pleine de surprises.