Historian

Lucy Dacus

Matador – 2018
par Alexis, le 3 avril 2018
7

On s’était promis que c’en était fini. Après les sorties de Big Thief, Phoebe Bridgers et surtout Julien Baker l’an dernier, nos cœurs de guimauve étaient las de se faire retourner par toutes ces gamines dépassant à peine le quart de siècle. Puis au coeur de l’hiver, Lucy Dacus a sorti "Night Shift" et "Addictions", deux titres irréprochables où tout nous faisait vibrer d’émotions et nous ramenait à l'intensité d'une Sharon Van Etten période Tramp. Plus question de ménager nos glandes lacrymales, il fallait lancer Historian et se replonger dans le doute et l’égarement qui peuplent l’indie folk de l’Américaine.

Plus encore que ses camarades de route, Lucy Dacus est une extraordinaire conteuse d’histoires. Ce talent, déjà mis en évidence sur son premier album No Burden, mêle le rendu brut d’un vécu personnel à une instrumentation où chaque variation doit répondre à l’évolution du récit. A la manière d’un Mark Oliver Everett avec Eels, sa musique puise sa portée émotionnelle dans cette écriture si directe qu’elle en devient désarmante ("Night Shift", "Next of Kin"). Les tableaux de rupture, d’incertitude ou de deuil brossés par l’Américaine captivent grâce à leur portée universelle et à une justesse musicale constante. Au-delà des qualités évidentes de son backing band, cette justesse est magnifiée par les cordes et vents présents sur certains titres ("Addictions", "Body to Flame").

Mais ls thèmes abordés par Historian vont plus loin qu’une simple introspection. Lucy Dacus place ses réflexions dans un contexte social tendu, en y évoquant notamment les protestations de Baltimore en 2015 ("Yours and Mine"). L’abandon et la peur de l’éloignement forment le fil rouge qui mène l'album, traînant chaque composition sous un poids écrasant. L’homogénéité presque froide qui s’en dégage est longue à apprivoiser, les multiples couches posées par Dacus ne se dévoilant qu’au prix d’écoutes répétées et attentives. Cette production lourde de Collin Pastore met surtout en valeur les crescendos pavant Historian, où Dacus maintient une tension constante pendant les premières minutes avant d’exploser avec une intensité rare ("Timefighter", "Pillar of Trut").

Lucy Dacus définit son écriture comme celle d’une historienne, restituant dans ses morceaux les témoignages marquants de sa vie. Les chansons publiées ces derniers mois par elle comme par ses contemporaines sont le récit brut d’une histoire de la jeunesse américaine. Ces jeunes femmes à la maturité épatante ont choisi le folk-rock pour faire passer leurs récits politiquement et socialement engagés. Célébrons cette bouffée d’air frais pour un genre ayant depuis bien longtemps dépassé l’âge de l’innocence.

Le goût des autres :
8 Maxime