Ghettoville

Actress

Ninja Tune – 2014
par Simon, le 5 février 2014
6

D’ici l’équivalent d’une chronique, on tirera un trait sur Actress. Fini. Basta. Après dix ans d’activité et quatre albums, l’entité fumante (et un peu fumeuse) construite par Darren J. Cunningham retournera à la terre qui l’a vue naître, sans que l’écran de fumée qui l’entoure n'ait pu se dissiper. Sans que le mystère puisse être élucidé. Car que retiendrons-nous de cet Anglais et de cette carrière en tous points étrange ? Un art consommé (inédit à ce stade) de se tirer une balle dans le pied, d’avancer des approximations pour des certitudes et très certainement un talent hors-norme pour diviser son audience. Jusqu’à la pertinence de cette question : pourquoi encore écouter un quatrième disque d’Actress ?

Surtout quand la suite annoncée de Hazyville (son premier disque, sorti en 2008) s’annonce fièrement comme une réflexion sur la condition humaine actuelle, sa dépravation et la difficulté d’y vivre. Surtout que Cunningham n’est pas du genre à prendre le concept à la légère. On y est : là ou Hazyville était la figure la plus florissante et accessible, Ghettoville prend un malin plaisir à manquer de tout. Une aubaine pour cet Actress qui aime tout saboter de l’intérieur comme un gamin spolié. Si tout a été déconstruit jusqu’ici – il ne reste presque plus rien de hip-hop, de techno ou de house chez lui – le producteur ramasse les dernières miettes de nos balises pour les jeter fièrement sur les murs. Tiens, prends ces dix-sept titres et démerde-toi avec ça !

Sauf que, mon coco, tu commences à nous les briser avec ton attitude de génie auto-proclamé ! Pourtant, comme d’habitude, on s’y remet et on lui donne ce qui semble être une nouvelle dernière chance pour séduire. Parce que le génie (si on devait parler en ces termes, on avoue qu’on n’en sait trop rien en fait) d’Actress agit toujours entre les lignes, dans la souffrance d’une rigueur parfois mal amenée, toujours prompte à faire douter sur nos véritables sentiments. Ce qui est sûr, c’est que Ghettoville est bien le plus imperméable de la fratrie : la longueur de certains titres est ridiculement étendue, son manque d’amplitude est flagrant, ses associations crée du non-rythme à la limite de l’étouffement.

Et pourtant, on y revient, peut-être trop souvent. Comme un challenge sans fin, comme une volonté ineffable de ne pas s’arrêter là où ça accroche. Peut-être parce que sa progression est en définitive bien belle, peut-être aussi parce que son travail tout en détachement donne des envies d’ailleurs, hors de la musique même. Peut-être finalement parce qu’on veut l’aimer cet Actress, à tout prix. Un voyage où l'on se paie notre tête en permanence, où tu es le héros de tes propres choix en acceptant d’aimer celui qui te déteste. Parce qu’il y a des fulgurances et un sens hors du commun du génial enculage de mouche.

C’est fini, à ce stade Actress n’est plus. Que nous reste-t-il avec ce Ghettoville en main ? Pas grand-chose. Et pourtant, beaucoup. L’histoire d’une trajectoire extrême à tous les étages, une personnalité dont on ne sait pas quoi faire au final. Le pari est gagné, ta fumisterie ne s’est jamais vraiment départagée de ton génie. Tu pars en claquant la porte, sans vraiment dire au revoir. De toute façon, tu n’avais même pas dit bonjour. Et dans dix ans, quand tu te seras reconverti en caissier du monoprix ou que tu élèveras des bigorneaux sur une plage de la Costa Del Sol, on sera des milliers avec tes quatre disques en main, toujours sans véritablement savoir ce qu’on doit en foutre. Rien que pour ça, on te salue fièrement.

Le goût des autres :