Electrophonic Chronic

The Arcs

Easy Eye Sound – 2023
par Jeff, le 11 février 2023
8

Le 3 juillet 2018, fatigué par des années à batailler contre l’alcoolisme, le corps de Richard Swift l’envoyait chier une bonne fois pour toutes. Songwriter doué (mais snobé par le public), producteur pour Nathaniel Rateliff ou Kevin Morby et un temps accompagnateur des Shins, le gars de Tacoma faisait également partie de The Arcs, au sein duquel il retrouvait quelques-uns des meilleurs représentants du revival soul (dont le génial producteur Leon Michels, qui a fait ses armes au sein de l’écurie Daptone), mais aussi son pote Dan Auerbach des Black Keys, dont il a été le guitariste le temps d’une tournée. Un projet plein de fortes têtes donc, au sein duquel les différentes composantes, soul, blues et garage, se retrouvaient autour d’un amour de la chose psychédélique.

Presque cinq années nous séparent du décès de Richard Swift. Et dans l'intervalle, il a fallu évaluer la suite à donner à un projet qui n’avait cessé d’écrire et enregistrer après la parution d’un premier album, Yours Dreamily, en 2015. Face à une envie bien compréhensible de saluer la mémoire d’un compagnon de route parti trop tôt, Dan Auerbach, Leon Michels, Nick Movshon et Homer Steinweis se sont résolus à finir le travail entamé quand leurs agendas respectifs, très chargés, le leur permettait. Car il ne faut jamais oublier que The Arcs est un side project, une respiration dans des vies bien occupées, et cela s’entendait sur un premier album inabouti. Mais à toute chose malheur est bon, et il faut croire que la mort de Richard Swift aura servi d’électrochoc pour une bande qui ne donnait pas toujours l’impression de prendre le projet au sérieux, et de l’élever vers ces sommets qu’on les savait capables d’atteindre collectivement.

Car Electrophonic Chronic résonne comme le fruit d’un travail minutieux où chacun est à l’écoute de ce que l’autre a à offrir avant de se concentrer sur la pertinence de sa propre contribution. Il ressort de cette dynamique participative un disque à l’équilibre plus stable que l’âge des conquêtes de Leonardo Di Caprio, avec pour points d’ancrage le blues, la soul et le rock garage, et pour point commun le filtre psychédélique qui recouvre délicatement l’ensemble de ces douze titres. Surtout, contrairement à un Yours Dreamily qui ne fonctionnait que par la grâce d’une poignée de singles, Electrophonic Chronic affiche une consistance permanente. Toujours porté par un Dan Auerbach qui semble plus impliqué sur ces 38 minutes de musique que sur les trois derniers albums des Black Keys, cette second livraison de The Arcs est aussi l’occasion de voir combien Leon Michels a gagné en confiance et s’est affirmé en tant que chef d’orchestre ces cinq dernières années – la patine soul plus marquée que sur le premier album lui est certainement imputable.

Même si le disque a été en grande partie enregistré avant la mort de Richard Swift, et même si celui-ci jouait un rôle assez discret au regard de ce qu’il était vraiment capable d’apporter, son fantôme plane logiquement au-dessus de ce second album de The Arcs. Mais contrairement au Funeral d’Arcade Fire ou au Skeleton Tree de Nick Cave, la tristesse profonde se transforme ici en une énergie solaire (« Eyez », « Love Doesn’t Live Here Anymore ») et la vide laissé par Richard Swift est comblé par une substance douce-amère, (« Heaven Is A Place » ou « A Man Will Do Wrong »). La thérapie de groupe dans ce qu'elle a de plus beau, assurément.