Double Hélice 3

Caballero & JeanJass

Universal Music – 2018
par Aurélien, le 13 juin 2018
3

Il est urgent de dénoncer la tyrannie du cool. Cette volonté de n'être qu'une vitrine de son époque, sans âme, en adéquation complète avec les nouveaux médias et les mentalités. D'être un beau packaging pour une jeunesse qui ne cherche jamais à élever le débat, mais qui s'accapare de tout ce qui capte l'attention. Le rap belge justement, un peu comme Game Of Thrones ou Kendrick Lamar, n'a pas échappé à ce syndrome. Il s'est même mué en un espèce de mercato bizarre qui s'empare de mecs au charisme improbable pour les porter à un niveau bien trop haut, bien trop vite.

Si l'on aborde ce sujet avant d'évoquer le dernier disque de Caballero & JeanJass, ce n'est évidemment pas anodin: le capital sympathie que nous inspirent les deux lurons n'a d'égal que la décroissante qualité de leur production musicale. Un succès au long cours qu'ils doivent essentiellement à des tournées colossales, une promo qui ne s'arrête jamais, et des interviews qui, il faut bien l'admettre, nous font quand même bien marrer. En gros, tout pour faire oublier que sur disque, tout n'est que déjà-fait ou vacuité.

Pour mieux comprendre où on veut en venir, difficile d'étudier leur business plan sans évoquer le cas Action Bronson. Prenons les dernières livraisons de Fuck That's Delicious, l'émission culinaire animée par le rappeur du Queens sur Munchies. Depuis quelques épisodes, il y a définitivement quelque chose qui ne prend plus. Et quelque part, ça se comprend: dans cette promo magnifique pour des enseignes souhaitant soigner leur capital cool, le gros roux ne ressemble plus au branleur magnifique des débuts mais bel et bien à un faire-valoir dans une publicité mal fagotée. Les curse words entre chaque bouchée n'ont plus la même authenticité, la même spontanéité. Le gros Bronson semble même épuisé par l'image qu'il renvoie, tout juste bon à être le bouffon de ce rap internet qui se paluche dans les commentaires sur les images grivoises qui sortent de la bouche du MC. En concert, le constat est similaire: il applique une formule inoffensive qui ravit les trentenaires nostalgiques du boom-bap, et qui attire les jeunes aimantés par son charisme de rockstar. Dans le fond, Action Bronson est un peu pris à son propre piège: malgré un Blue Chips 7000 de bonne facture, il n'apporte aucune profondeur à sa musique, à son personnage. Et à trop vouloir proposer une attitude, il oublie d'offrir un contenu réel à sa musique.

De ce côté de l'Atlantique, c'est JeanJass & Caballero qui incarnent cette posture. Avec High et fines herbes sur Viceland, la paire fait du Bronson comme Ramzy Bedia faisait du Xzibit: sans trop rechercher l'esprit d'origine. Tout est prétexte pour fumer de grosses aubergines ailleurs que dans une story Instagram, et vendre du cool à des gamins de 16 ans. L'émission est devenu un tel prolongement de de ce que représente leur musique qu'elle s'est muée en un outil de promotion formidable. En somme donc, pas de pied de nez: ils sont tous les deux exactement là où on les attendait. Et leur musique symbolise cette volonté de ne jamais froisser cette trajectoire bien scriptée: sur Double Hélice 3, rien ne sort du cadre. Encore plus simplement dit, c'est un disque de rap belge pour les fans de rap belge, marqué d'un esprit de synthèse auquel se soustrait toute forme de personnalité. Et n'y voyez pas une critique facile ou gratuite: on espérait trouver tellement plus que ce disque qui flirte régulièrement avec le gênant, qui se fait applaudir des deux mains par un public qui salue l'efficacité au détriment de toute prise de risque.

Alors, à qui la faute? En fait, on en arrive à se demander si ce n'est pas le public du duo qui est le plus à côté de la plaque, lui qui se soumet à cette dictature du clic et ne jure que par cette coolitude nourrie à la weed, à l'humour potache et au turn up, au point d'en oublier que la production musicale dont on le gave est bâclée, éphémère et peu intéressante. Pourtant, Double Hélice 3 n'a rien d'un disque honteux - il est même mieux foutu que son prédécesseur. Il est juste tristement de son époque dans cette volonté de n'avoir aucune ambition, au point de se demander si ce rythme de croisière d'un album par an ne contraint pas la paire à une oisiveté qui confine au fan service le plus abrutissant. Un retour de bâton de cette culture du streaming qui agit, pense et conçoit en instantané et qui, malgré une poignée de titres efficaces dans le cas de DH3, démontre par l'absurde que JJ et Caba sont bien au summum du cool en 2018. Triste paradoxe.

Le goût des autres :