Conquistador

Dylan Carlson

Sargent House – 2018
par Albin, le 22 juin 2018
7

A 50 piges, Dylan Carlson se dresse comme un homme qui n’a plus rien à prouver et peut s’en donner à cœur joie dans un genre ultra-minimaliste dont il s’impose comme le maître absolu. Pas fainéant pour un sou, le bonhomme ne crache pas pour autant sur la remise en question, comme en témoigne la collaboration avec The Bug, sortie l’an dernier sur Ninja Tune.

Cependant, derrière sa dégaine de cowboy, son regard de husky en détresse et la pilosité en broussaille du mec qui va te gratter une clope à la sortie du métro, Carlson cache bien son jeu. La planète guète toujours un ultime spasme du corps déjà froid du « rock à guitares » ? Rien à foutre ! Le seul membre permanent de Earth poursuit son voyage solitaire sur un terrain bien plus excitant: le rock à guitare. Un seul s vous manque et tout est dépouillé. Au diable les arrangements, aux chiottes la basse, foutez-moi dehors cette batterie et allez vous faire empaler avec vos chants à deux balles. Carlson sort sa six cordes, la branche dans un ampli de fortune et laisse parler ses doigts. Il en sort une pièce instrumentale en cinq actes, contée comme le récit d’une traversée du désert. Bienvenue dans Conquistador.

Qu’on ne s’y trompe pas : la mise en scène soignée, ce sentiment d’immensité aveuglante, de solitude infinie, de soleil écrasant et de néant à perte de vue, ne doivent pas nous détourner de la moelle de cet album. On a bien ici entre les oreilles une formidable ode à la guitare, débarrassée de toute forme d’effets. Carlson y célèbre le son pur, granuleux, un peu rêche, riche de ses imperfections. En anti-guitar hero et père fondateur du drone, il triture son instrument pour en extraire un jus qui évoque une forme de rock primitif, un retour au blues originel, celui où un même morceau pouvait jouer les prolongations tant que l’inspiration était au rendez-vous.

Sur Conquistador, la répétition des motifs ne sombre jamais dans la routine, aidée il faut bien l’admettre par les harmonisations discrètes de la géniale Emma Ruth Rundle, conviée pour l’occasion à pimenter la recette de quelques touches de guitar slide. Holly Carlson, la compagne de Dylan, s’invite également pour quelques percus qui se fondent à merveille dans la masse – et gagne au passage le droit d’afficher sa frimousse sur la pochette.

Il y a 25 ans, alors que la scène de Seattle attirait tous les projecteurs avec ses groupes en révolte contre le shampoing, Carlson, le brushing impeccable à l’époque, signait loin de la frénésie médiatique Earth 2: Special Low Frequency Version, un disque de drone d’une lourdeur qui reste à ce jour inégalée. Aujourd’hui, alors que son héritage est plus vivant que jamais - il suffit de voir les Sunn O))), Boris ou Sleep faire preuve d’une imagination redoutable pour entasser des tonnes d’amplis sur scène et recréer cet effet de chaos -, Dylan Carlson en revient à l’essence-même de sa musique, un mouvement initié depuis 2005 déjà, et la sortie de Hex : or Printing in The Infern de Earth.

N’ayant rien à gagner sur le terrain de la surenchère aux décibels et aux infrabasses, il creuse le sillon d’un rock dénudé, hautement narratif, dans un style qui invite à l’introspection. Cette démarche en fait l’un des représentants les plus crédibles, mais aussi les plus discrets, d’un courant musical souvent sali à force d’y ranger tout et n’importe quoi: l’americana, cette approche quasi romantique des grands espaces, où le pouvoir évocateur des riffs de guitare se frotte à la hauteur des forêts de séquoias de la côte ouest. Et putain, qu’est-ce qu’on l’aime cette Amérique quand elle est racontée par les doigts de Carlson.