Coming Home

Leon Bridges

Columbia – 2015
par Amaury, le 13 juillet 2015
7

On a pris une belle claque à la sortie du premier single de Leon Bridges, « Coming Home », qui donne son titre à l’album. Le souffle des années 50 et 60 respirait de nouveau, d’une traite. Une prouesse relevant de ce que beaucoup de reprises ne parviennent pas à réaliser : gommer les lourdes traces du temps passé par un effort de compréhension. Être techniciste ne suffit pas, même pour célébrer une œuvre. La simple démarque, la reproduction ou l’imitation rigoureuse restent des actions réductrices ; laissons-les aux festivals de cover durant lesquels divers sosies perruqués ramènent toujours Mick Jagger à son déhanché. Leon Bridges, donc, a su se projeter en allant plus loin que l’expérience phonique. Il est parvenu à saisir les enjeux et la gravité que pouvait ressentir un chanteur de soul ou de gospel lorsqu’il s’enfermait dans un studio d’enregistrement — lorsque parler d’amour devenait une liberté, une échappée, une lutte. Le titre « River » est alors venu confirmer la sensibilité du jeune Texan, comme il annonçait encore une très bonne plaque sur laquelle il s’agissait de parier.

Et on ne s’est pas trompé. Bridges tisse son art sur les dix titres qui composent le disque. Pas un ne fait défaut. Ils répondent tous à un noyau commun, témoignant ainsi d’un exploit supplémentaire que réalise le chanteur : maîtriser plusieurs registres, propres à différents artistes qui ne parvenaient réellement à briller que dans un seul. Avec sa patte particulière, Bridges passe en effet des plaintes soul, tristes et profondes, à la danse du Rythm & Blues, ainsi qu’aux audacieuses amours gospels ; Sam Cooke, Smokey Robinson et Otis Redding. Sans oublier que ces petites courbettes se font toujours dans une sobriété plutôt élégante. Le saxophone, par exemple, ne souffle régulièrement que quelques coups. Sans grandes envolées, il donne du corps — sensuel et mobile.

Toutefois, le disque manque de force, de spontanéité. S’il rend parfaitement la nébuleuse sensible de l’époque, il n’en rend pas la rage. Il n’en propose pas les grands éclats, ceux des génies que l’on vient de lui associer. Dans ce sens également, bien que la production rende un son bien vintage, grâce au travail de Jenkins et Block, elle reste trop proprette. Le combat n’est définitivement plus le même. D’ailleurs, les titres ne s’éloignent pas de la durée pop traditionnelle — deux minutes trente — sur laquelle Marvin Gaye avait magnifiquement craché avec What’s Going On.

N’empêche, on ne peut pas lui retirer sa superbe constance, ni le talent de faire revivre cette puissance tranquille. Alors qu’il devait initialement suivre les traces d’Usher, l’album de Bridges s’est pensé à rebrousse poil vers les racines — un retour à la maison. Sans être passéiste, il ne s’agit que de ça : retrouver son toit, sa sécurité, son intimité. Pour danser, hausser les épaules ou tisonner ses plaies, en rythme.

Le goût des autres :
7 Jeff 6 Amaury L