Bitte Orca

Dirty Projectors

Domino – 2009
par Jeff, le 13 août 2009
8

Enfant, je ne ratais pas un seul épisode de "Il était une fois la vie", sympathique série animée qui inculquait à des enfants curieux le fonctionnement du corps humain en y mettant en scène une foultitude de personnages représentant les maillons essentiels d'une chaîne nous permettant de boire, manger, et même forniquer. Comme tout grand vaisseau qui se respecte, le corps humain  était opéré à partir d'une énorme salle de contrôle située dans le cerveau. Dans le cas d'"Il était une fois la vie", c'était un vieux sage à l'immense barbe blanche qui prenait toutes les décisions qui s'imposaient dans la lutte permanente contre les virus et bactéries.

Aujourd'hui, à l'écoute de ce nouvel album des Dirty Projectors, je me dis que j'aimerais vraiment voir un épisode spécial d'"Il était une fois la vie" consacré à Dave Longsteth, leader légèrement déviant du groupe new-yorkais. Parce que chez lui, une chose est sûre: ce n'est pas un vieux monsieur précautionneux et bien intentionné qui gère le bazar, mais une sorte de savant fou au regard halluciné et flippant qui n'en fait qu'à sa guise. En effet, pour accoucher d'une musique aussi unique que celle des Dirty Projectors, impossible d'être une personne normalement constituée.

Même si le groupe existe depuis quelques années déjà, on avait eu des premiers indices de la folie douce qui habite Longstreth en 2007 avec Rise Above, album unique en son genre qui voyait notre homme réenregistrer de mémoire un disque de Black Flag qu'il n'avait plus entendu depuis sa jeunesse. Bluffant et fascinant, le résultat ressemblait à un mélange complètement barré de folk et de pop, et s'inscrivait dans la droite lignée d'artistes comme Yeasayer, Anni Rossi ou les parrains du genre Animal Collective.

Aujourd'hui signé chez Domino, et après une apparition très remarquée en ouverture de la compilation Dark Was the Night en compagnie de la légende David Byrne, le groupe nous revient en force et en forme pour enfoncer le clou avec Bitte Orca, disque plus balisé sur lequel il continue néanmoins de jouer aux francs-tireurs de l'indie. En apparence absconse et réservée à un cercle restreint de foldingues, la musique façonnée par Longstreth se révèle en fait des plus accessibles, et surtout moins indigeste que sur Rise Above, se permettant même de jouer la carte d'un classicisme folk magnifique sur "Two Doves". Pour le reste, les ingrédients qui avaient permis la reconnaissance du combo new-yorkais restent inchangés: rythmique saccadée, guitares insaisissables et mélange de voix haut perchées (pour Longstreth) et cristallines (pour ses deux acolytes féminines Amber Coffman et Susanna Waiche), le tout formant un ensemble capiteux rendant plus fines que jamais les frontières qui séparent la pop du folk et de la world music – une seule écoute de "Useful Chamber" ou "No Intention" devrait suffire à vous convaincre.

Sorte d'immense parc d'attractions conçu par Tim Burton et David Byrne, Bitte Orca, derrière ses constructions faussement alambiquées, renvoie à des plaisirs simples et des sentiments primaires – le bonheur et l'optimisme principalement. Et dire que pendant ce temps-là, aux quartiers-généraux du cerveau de Dave Longstreth, l'effervescence prévaut: il y a un fêlé de la cafetière qui élabore déjà les plan de la future offensive des Dirty Projectors… Il était une fois un petit génie.

Le goût des autres :
8 Adrien 8 Nicolas 8 Julien L