Interview

Jean

par Nico P, le 28 novembre 2025

C’est quand même bizarre. C’est quand même un super titre, il faut bien le dire. C’est quand même bizarre, c’est une jolie introduction, c’est un mystère aussi, et puis, c’est sobrement mais joliment dit. C’est quand même bizarre, c’est le petit nom du premier album de Jean. Et d’ailleurs, Jean, c’est aussi un joli prénom, et c’est également un joli pseudonyme pour un artiste (mais galère, certes, pour trouver des choses en ligne, mais fort heureusement, vous apprendrez tout ce qu’il faut savoir sur cet artiste ici, enfin, on espère). Rencontre.

"Jean" est un prénom simple et courant, mais que représente-t-il pour toi en tant qu'artiste ? Cherches-tu à incarner une forme d'universalité ou d'authenticité ?

Jean, c’est comme ça que mes parents m’ont appelé, c’est comme ça que tout le monde m’a toujours appelé. Comme mon projet parle de moi, je trouvais ça logique de ne rien changer et de rester le plus moi-même possible. En y réfléchissant, je ne crois pas avoir fait ce choix pour paraître plus authentique. Plus jeune, j’avais cherché des pseudos, mais aucun ne me convenait : je les trouvais tous un peu ridicules. Alors je me suis dit que le plus simple à assumer, c’était encore le prénom que je portais déjà.

Comment définis-tu ta "patte" musicale, ce qui fait qu'une chanson est indéniablement une chanson de "Jean" ?

Je dirais que c’est toujours un thème un peu torturé et triste, souvent abordé de manière légère et détachée, sur des mélodies tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques. La tonalité de ma voix étant souvent la même, le lien entre les morceaux se fait naturellement. Ma voix rocailleuse et mon exigence sur les rimes participent aussi beaucoup à cette cohérence.

Parle-moi de ton rituel d'écriture. Es-tu méthodique, cadré, ou attends-tu que l'inspiration frappe à l'improviste ?

J’écris tous les jours, un peu de manière automatique, pour garder un rythme. Mais quand il s’agit de faire un morceau, je pars souvent d’une phrase touchante, quelque chose que j’ai entendu ou déjà écrit, et j’essaie de développer une idée autour. Je suis toujours accompagné d’une musique, d’un instrument ou même d’une chanson d’un autre artiste qui m’inspire. Les morceaux que je préfère sont souvent écrits d’une traite, rapidement. Ça m’aide à ne pas m’éloigner du thème que je veux installer.

Comment équilibres-tu la part d'intimité, de confidence personnelle, et la volonté de toucher un public large avec des thèmes universels ? As-tu des limites dans ce que tu es prêt à révéler ?

Je parle presque constamment de ma vie et de moi, mais je ne donne jamais de prénom et je fais toujours en sorte qu’aucun de mes proches ne se sente visé. Ça passe souvent par des anecdotes romancées ou modifiées. Mais comme ce sont souvent des réflexions personnelles, ça n’interfère jamais avec mon processus de création.

Y a-t-il un personnage, une histoire ou une image récurrente dans ton œuvre qui t'obsède particulièrement ?

Je n’ai personne en particulier qui me vient en tête, mais cette idée du protagoniste seul et triste revient beaucoup dans ma musique, comme dans les films et les chansons que j’aime. Je pense notamment au personnage joué par Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, ou encore au héros de Paris, Texas. Ces influences sont surtout visuelles : beaucoup d’œuvres m’obsèdent, mais je ne pense pas que ça se ressente directement dans mes chansons.

La mélancolie et une certaine tristesse semblent habiter nombre de tes compositions. Est-ce pour toi une façon d'apprivoiser ces émotions, ou simplement un état qui t'est naturel et fertile artistiquement ?

Pour être très sincère, je ne pense pas réussir naturellement à sortir quelque chose de non mélancolique. C’est instinctif : j’ai toujours préféré une chanson triste à une chanson joyeuse, pareil pour les films. J’irais même jusqu’à dire que ça m’aide au quotidien. Écrire sur ses problèmes, ça permet forcément de prendre du recul.

As-tu l'impression que tes thèmes de prédilection ont évolué avec le temps, avec l'âge et les expériences de la vie ?

J’espère, en tout cas. J’ai commencé la musique adolescent, et aujourd’hui j’ai 23 ans. Je parle encore souvent des mêmes thématiques, mais sous un autre angle, avec plus de regrets, de recul, et, je l’espère, moins d’immaturité. J’essaie souvent de me donner des objectifs comme « ne pas parler d’addiction » ou « ne pas parler de relations amoureuses », mais malheureusement, c’est encore ce que je vis le plus.

Comment décrirais-tu l'alchimie entre tes textes et ta musique ? Cherches-tu une harmonie parfaite ou, au contraire, un contraste qui surprend l'auditeur ?

Je cherche avant tout quelque chose qui me touche. J’ai très vite remarqué que le contraste entre une musique joyeuse et un texte triste fonctionnait très bien sur moi, alors j’ai continué. Ma seule règle, c’est que le morceau me plaise et m’émeuve. Je pense rarement à la façon dont il va être reçu.

La production est un élément clé. Quel est ton niveau d'implication dans le studio ? Es-tu un artiste qui aime expérimenter, ou au contraire, capturer la performance live ?

J’adore expérimenter, mais il m’arrive souvent, au studio, avec les gens avec qui je travaille, d’essayer simplement de capturer le moment présent. Le studio, c’est un vrai terrain de jeu pour moi. Je pourrais y passer des journées entières à essayer des choses.

Que recherches-tu, et que ressens-tu, sur scène ? Est-ce une catharsis, un partage, une célébration, ou quelque chose de plus fragile ?

Je suis concentré sur ma musique, entre intimidé et détendu. Je m’oublie souvent pendant les morceaux, au point d’en oublier presque le public. Le regard des gens me stresse énormément, mais étrangement, pendant mes chansons, cette partie de moi disparaît. Je ne sais pas si je peux appeler ça une catharsis, mais c’est quelque chose de très épanouissant pour moi.

Y a-t-il une chanson en particulier, ancienne ou récente, qui prend une dimension particulière lorsqu'elle est jouée live ?

"Disquettes", les gens ont toujours l’air contents quand on la joue. C’est sûrement celle sur laquelle le public réagit le plus. Mais je crois que la chanson que je prends le plus de plaisir à jouer, c’est Mouillé. J’aime sincèrement l’interpréter.

Si tu devais faire découvrir ta musique à quelqu'un qui ne te connaît pas avec une seule chanson, laquelle choisirais-tu et pourquoi ?

C’est une question difficile, parce que j’essaie vraiment que chaque morceau soit différent. Mais je dirais peut-être "Articule", qui représente bien le contraste « joyeusement dépressif » que j’essaie souvent d’atteindre.

Y a-t-il une chanson que tu as écrite qui t'a "surpris" toi-même, par sa forme ou son message ?

Je dirais "Monique", sans hésiter. C’est une des seules chansons où je ne parle pas à la première personne : aucune mention de substances ou de relations amoureuses, juste le quotidien d’une vieille dame qui s’ennuie. Et peut-être aussi "Cordialement", qui a un message très différent de tous les autres.