Nouvelle édition hivernale pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Mais ne vous méprenez pas: si les ténèbres sont de retour en cette saison, l'équipe de goules en charge de ces colonnes ne les a jamais quittées et ce pour vous dénicher le meilleur de cette sombre musique, avec ce mois-ci encore: death, grindcore et hardcore/thrash. Vous connaissez le programme.
Bone Fetish
Bone Fetish
Simon
Dans la famille des cassos, je demande le cousin. Pas le relou qui pète à table, celui-là on l'aime bien, mais celui qui dégoûte. Celui qui ronge ses ongles de pieds, qui a un historique internet qui peut l'emmener en prison et qui est con à casser des pierres avec sa tête. Celui-là c'est Bone Fetish : le no-brainer ultime de la famille, qu'on se coltine uniquement quand on y est vraiment forcé. Vous vouliez de la grosse branlée bas du front ? Bone Fetish est là pour vous. Vous ne concevez votre death metal que dans une perspective goregrind ? Bone Fetish est de nouveau là pour vous. En fait, pour chaque occasion qui nécessite du caca audio, du sperme en spray et du vomi en sous-vide, Bone Fetish répond à l'appel. Sauf qu'ils ont beau tout faire pour rendre la chose dégueulasse, impossible pour eux de ne pas être constamment au niveau avec des grooves putrescents (« Voices », « Convergence »), une performance vocale qui ne sait pas s'exprimer sans faire des bulles dans le fond de sa gorge, des batteries qui lattent à peu près tout ce qui passe à portée de baguette et des guitares toujours délicieusement death-grind, bien dodues quand l'autre monomaniaque laisse respirer sa batterie pendant plus de quatre secondes. Dix-sept titres pour vingt-quatre minutes : Bone Fetish compile sur l'excellent Sentient Ruin tout ce que les Américains ont pu produire jusqu'ici – soit trois EP's en quatre ans et cinq nouveaux titres écrits pour l'occasion - et trace son chemin en ligne droite comme un suppositoire. Pas de courbette, pas d'introduction, pas de solo, juste du goregrind/death grind qui ramone les oreilles à la perfection. C'est peut-être con, mais c'est ça qui est bon.
Hooded Menace
Lachrymose Monuments of Obscuration
GuiGui
Les temps changent et certains groupes aussi. Si on nous avait dit il y a dix ans que Hooded Menace agrémenterait son death doom d’origine d’une grosse dose de heavy metal mélodique complètement décomplexé, on n’y aurait pas cru un instant. Certes le groupe finlandais a toujours fait quelques clins d’œil à une certaine forme de mélopée dans ses compos mais tout en gardant le côté d’outre-tombe qui le caractérisait comme l’illustrait le très bon Darkness Drips Forth (2015). Parce qu’il fut une époque où la bande était plus habituée à être rangée dans le rayon des Coffins que dans celui des Paradise Lost. Et si The Tritonus Bell (2021) avait déjà annoncé un certain virage dans l’approche du riffing et un tempo sensiblement plus soutenu, il ne nous préparait sans doute pas à ce que le trio emmené par Lasse Pyykkö prenne autant l’auditeur à contre-pied que sur ce Lachrymose Monuments of Obscuration. Si l’artwork de ce dernier album garde le clin d’œil classique aux films gore d’antan et laisse envisager un album de death caverneux, la réalité du contenu est autre. Dans une production bien plus claire qu’à son habitude, Hooded Menace se dévoile cette fois dans des titres aux relents épiques voire parfois progressifs et nous affuble même d’une reprise bien personnelle du « Save a Prayer » de Duran Duran dont le résultat se rapproche paradoxalement le plus de ce qu’on connait du groupe. Bien entendu, le disque fera parler dans le petit monde de l’underground qui criera peut-être au scandale et au non respect des traditions, mais il reste que la démonstration musicale est tout de même loin d’être à jeter. Alors bien évidemment, on aurait tendance à dire qu’un album comme celui-ci aurait peut-être eu davantage sa place dans la discographie d’un éventuel side-project de Pyykkö, mais on va plutôt simplement saluer une démarche pour le moins audacieuse et un cassage de codes qu’on n’attendait pas tout en espérant quand même que le prochain opus retrouve un certain parfum de grotte humide.
Tithe
Communion In Anguish
Simon
Les membres de Tithe ont a peu près joué toutes les musiques extrêmes imaginables. Des carrières cumulées qui ont amené ses membres à jouer tout, mais alors absolument tout ce qui pète les oreilles : du grindcore au doom en passant par le blackened death et le sludge. Tithe pouvait-il être autre chose qu'une gigantesque soupe de metal absolument peu populaire ? Enfin peu populaire c'est vite dit, puisqu'on retrouve les Américains depuis deux albums sur Profound Lore Records, maison connue pour le sérieux intouchable de sa direction artistique. Mais nous parlions de la soupe : ici il y aura très peu de légumes et surtout beaucoup de patates. Dans sa fusion entre le doom, le death et le grindcore, Tithe brasse large sans jamais donner l'impression de choisir un camp en particulier. Ce qui n'est pas un défaut en soi devient vite ici le coeur du problème : Communion In Anguish ne va nulle part, à force d'aller partout. On identifie assez vite ce qui se joue devant nous et, à vrai dire, le groupe fait les choses plutôt bien : ça crie exactement comme il faut, l'acidité de ses guitares est au poil – même si on ne comprend pas pourquoi avoir piqué tant d'intonations à Inquisition, ça tombe parfois un peu comme un cheveu dans la soupe -, chaque musicien joue sa partition avec toute l'expérience qu'on lui connaît, la production est soignée et les signatures rythmiques de chaque genre bien respectées. Il y a même suffisamment d'intensité pour être crédible en toutes circonstances. Ça ne marche juste pas vraiment. Probablement parce que pas assez violent quand ça part en ruades grindcore, ni assez lourd quand ça part en doom des cavernes. C'est horrible de le dire, mais ça ressemble de près à ce qu'une intelligence artificielle aurait pu nous pondre si le prompt lui disait de produire un hybride death metal standard aux relents doom et grindcore, le tout avec un son qui claque et une gueule intouchable. Une musique appliquée mais qui ne raconte aucune histoire, qu'on vous recommandera donc uniquement si vous avez encore un peu de dash après tout ce que ce dossier aura eu à vous proposer.
Chepang
Jhyappa
Simon
Vous avez tout écouté et plus rien ne vous excite ? Que diriez vous d'une bonne tranche de grindcore népalais ? Vous allez encore nous traiter de hipsters à moustaches mais Chepang est bel et bien cette sensation un poil exotique qui manquait à notre discothèque déjà trop chargée. Les plus informés le savent déjà, leur précédent album était un monstre de grindcore avant-gardiste. Séparé en quatre parties distinctes, Swatta faisait la part belle tant au prog-rock qu'à la musique algorithmique ou à la noise music. Fraîchement débarqué sur Relapse Records, les Népalais dorénavant basés dans le Queens à New-York sont naturellement attendus au tournant vu l'exposition prise par leur musique. Et là où on aurait pu logiquement attendre un nouvel album-concept de la part de la bande de Moutain God, Chepang aligne un grindcore parfaitement normé. Mais ne fuyez donc pas, car Jhyappa régale néanmoins sur toute la ligne : neuf titres en dix-sept minutes – ce qui reste assez classique pour le genre – et littéralement pas une seconde pour niaiser. Si leurs riffs sont parfaitement lisibles grâce à une production solaire, on notera surtout le caractère catchy de la musique de Chepang. Tout est absolument colossal dans le rythme, dans l'alignement parfait des séquences, dans l'attitude urbaine, tribale et grind de tous ces riffs et de ces cris alarmants. Une musique qui rend hommage à son héritage hardcore et punk, tant sur la ligne esthétique – oui, ça mosh de manière absurde – que politique, mais qui pouvait imaginer le contraire avec une histoire du pays marquée par la guerre incessante et les massacres ethniques crapuleux ? Les écoutes de Jhyappa se succèdent donc et force est de constater que ce qui pourrait être une petite piqûre grindcore est en réalité un grower en puissance, à la fois exotique quand il faut, tribal dans l'ADN, et invariablement taillé pour la bagarre et le headbanging sauvage. A ne pas manquer.
Crypt Sermon
Saturnian Appendices
Simon
Cette mini-chronique pourrait uniquement servir de prétexte pour dire une nouvelle fois à quel point The Stygian Rose était le meilleur album de la catégorie metal en 2024. Vous me direz, et vous auriez raison, que le metal pris dans son ensemble est bien trop vaste pour se lancer dans de pareilles spéculations mais on ne nous l'enlèvera pas, ce troisième album des Américains a aligné toute la concurrence dans son exercice de prédilection : produire du doom/heavy de qualité hautement supérieure - le magazine Decibel ne s'y est pas non plus trompé et l'a également couronné tout en haut de son classement. Et vu la quantité absolument indécente de fois qu'on s'est envoyé le long format, on est extatique de pouvoir prolonger la fête avec Saturnian Appendices. Un EP quatre titres dont trois sont issus des sessions d'enregistrement de The Stygian Rose et une reprise plutôt démentielle d'un classique de Mayhem (habilement renommé « De Mysteriis Doom Sathanas » pour l'occasion). Vingt-cinq minutes de croisade lyrique une fois de plus magnifiquement équilibrée entre le foisonnement d'idées heavy et leur mise en œuvre cinématographique, au sommet techniquement pour tout ceux qui en douterait encore. Une sorte de grand western épico-doom tout en dynamisme de composition, qui ne laisse jamais une seule seconde sa partition tranquille et qui ne conçoit son blues héroïque que sous la forme du guitar hero surpuissant, libéré et conquérant. A ce petit jeu, Crypt Sermon met toute la concurrence dans le rétroviseur et semble plus que jamais en place sur le trône du doom metal de contes et légende. C'est tellement mérité.
Dead Heat
Process of Elimination
GuiGui
Au même titre qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture, évitons également de tirer des conclusions hâtives sur un disque en ne s’arrêtant que sur sa pochette. Preuve en est avec le From Beyond de Massacre en 1991. Imaginez un instant que le public et la critique l’aient snobé pour la simple raison que son artwork était tout bonnement dégueulasse, il y a fort à parier que le monde serait passé à côté d’un disque légendaire. Et la comparaison avec les Américains n’est pas innocente puisque le logo de Dead Heat reprend carrément la même police de caractère que ses compatriotes et le reste du visuel est pour le moins…hideux. Mais fort heureusement, la curiosité l’a emporté, et c’est tant mieux puisqu’après quelques secondes d’une intro mélodique déjà fort convaincante sur « Perpetual Punishment », le reste s’avère être une véritable bombe. Une pépite de (crossover) thrash pur jus aux accents hardcore où les guitares s’en donnent à cœur joie dans le style « Tu veux du rapide mais du groovy ? Parce que moi j’en ai », où la basse se veut bondissante comme il faut pour soutenir tout ça et où la batterie offre les tempi parfaits pour ton prochain exercice cardio haute intensité. Bien entendu, les familiers du style se diront que tout ça ne réinvente pas la roue et on leur donnera raison. Mais là où ce troisième album des Californiens se démarque peut-être de ses contemporains, c’est dans sa production délibérément gonflée au « cra-cra » qui donne à cet opus une espèce de supplément d’âme et une envie incompressible à l’auditeur d’enfiler un t-shirt aux manches coupées et de se briser les cervicales. Un pur album plaisir à ranger dans le rayon du petit lait.