Dossier

Wake Up The Dead #28

par la rédaction, le 16 septembre 2025

Nouvelle édition automnale pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Mais ne vous méprenez pas : si les beaux jours sont de retour, l'équipe de goules en charge de ces colonnes continue de vivre dans les ténèbres pour vous dénicher le meilleur de cette sombre musique, avec ce mois-ci encore: hardcore-punk, sludge/stoner et (prog) black. Vous connaissez le programme.

Tómarúm

Beyond Obsidian Euphoria

Simon

Il y a une chose à laquelle je ne m'habituerai jamais – et cela entretient probablement mon amour immodéré pour la chose – c'est la propension du metal à être une musique d'élite. Élite de ceux qui la composent, partout et tout le temps. Sans devoir attendre d'être au niveau Champions League pour briller. Tómarúm en est, une fois de plus, un très bon exemple. Le groupe américain prend le death metal technique, le black metal mélodique, et le rock progressif sans jamais devoir choisir pour taper ses septante minutes d'aventure épique. C'est virtuose à l'absurde – jusqu'à frimer un peu, mais le guitar hero à ce niveau ce n'est jamais assez - ça te jette à la gueule des gigantesques constructions allant jusqu'au quart d'heure pour un titre et ça possède une écriture en chapitres extrêmement cohérente. Cinq membres pour cinq voix différentes, entre un chant clair qui tremblote dans son lyrisme, des growls évidemment au niveau et tout ce qu'il y a entre les deux. Alors, oui, c'est long mais avec un paquet d'écoutes au compteur, le kaléidoscope Beyond Obsidian Euphoria mérite bien de prendre tout son temps pour étendre sa vision. De notre côté, on déguste, on jubile à chaque bouchée et on s'enfonce petit à petit dans cette œuvre gargantuesque d'écriture metal. Tout ça sans même passer pour l'ombre d'un groupe qui marche. A l'image de toute cette scène underground qui ne finit jamais de séduire. Merci les gars.

Valdrin

Apex Violator

Simon

Insaisissable formation qu'est Valdrin : quatre albums en dix ans, chaque fois dédié à raconter la suite d'une histoire à tiroirs mettant en scène un personnage principal pris dans un arc narratif affreusement complexe. Entre science-fiction et heroic fantasy, notre héros se débat contre des puissances occultes dans des mondes au moins aussi alambiqués. En changeant à chaque fois la formule musicale pour mieux coller au thème développé dans le chapitre concerné, Valdrin a toujours fait preuve d'une créativité impossible à contenir. Avec les Américains il y a toujours eu évidemment les idées, mais surtout la virtuosité. Parce que le groupe a beau pérégriner, sa base black metal mélodique reste un modèle de noblesse, d'application et de dynamisme. Et Apex Violator, censé être le chapitre final de toute cette grande narration, en est une nouvelle preuve, dès la première écoute. Difficile d'ailleurs de qualifier ce nouvel EP (qui propose par contre plus en trente minutes que bien des longs formats actuels) tant Valdrin y a mis du mouvement et de l'inspiration. Impossible déjà de lui enlever sa dimension guerrière et symphonique – « Poison Soul Vents » en ouverture est d'ailleurs un énorme banger – quitte à sonner comme le meilleur de Dimmu Borgir avec ses synthés cheapos, ses choeurs épisodiques et ses grands pianos de l'enfer. Ce qui peut sembler médiéval et ritualiste ici est pourtant joué avec tous les déguisements du black metal sci-fi, la tête bien dans le cosmos, empruntant son imaginaire autant à Mare Cognitum qu'à Vektor. Tortueuse et lyrique, léchée dans sa frontalité et riche de détails, Valdrin propose une grande œuvre de black coincée entre celle de Lovecraft et celle d'Isaac Asimov. Immanquable.

 

SCALP

Not Worthy of Human Compassion

Alex

Depuis leurs débuts dans l’ombre d’une scène californienne en constante expansion, SCALP traîne ses riffs comme des lames de rasoir, coupant tout ce qui dépasse. Bien installé dans un créneau entre hardcore, death, grindcore, powerviolence et autres joyeusetés soniques, le groupe d’Orange County se fait une joie de dépeindre un monde sans horizon depuis 2019. Not Worthy Of Human Compassion, troisième “long” format de cette équipe sur Closed Casket Activities, est le genre de disque dont on pourrait presque rire s’il n’était pas un tel exercice de haine distillée, une démonstration clinique de nos capacités autodestructrices. Pas de compassion, pas d’échappatoire. En dix-huit minutes serrées comme une mâchoire fracturée, le quintet mène une suite de charges qui convoquent autant l’école Kickback que la sauvagerie frontale des collègues régionaux de Nails. Guitares désaccordées jusqu’à l’os, double pédale qui frappe comme si la caisse claire avait insulté sa mère, et des grognements humains en guise de narrateur (on y croise par ailleurs des têtes de chez Weekend Nachos ou Auditory Anguish)...tel est l’opressant programme. Pas d’invitation à comprendre comment nous en sommes arrivés là, seulement un temps pour encaisser. Toujours sec et sans sommation, SCALP maintient à nouveau le nihilisme au rang d’art martial avec une intensité insoutenable. Et c’est un grand oui pour nous.

 

Kontusion

Insatiable Lust For Death

Simon

Voir un nouveau groupe débarquer sur Profound Lore avec à sa tête Mark Bronzino et Chris Moore annonçait le régal absolu. Une évidence même quand on sait que le premier a envoyé des kilo-tonnes de riffs dans Mammoth Grinder ou Iron Reagan et que le deuxième tabasse son kit de batterie pour Nailbomb, Magrudergrind ou Repulsion. Si on sait, suite à leurs récentes déclarations, qu'ils en ont plein le cul qu'on parle des métalleux actuels au travers de leurs anciennes formations, l'amateur de généalogie que je suis n'y peut rien : Kontusion est déjà prometteur par l'expérience passée de ses membres et tu ne m'emmerderas pas avec tes histoires qui ont mal fini. Alors, est-ce que Insatiable Lust For Death est le cachou death/punk qu'on était en droit d'attendre logiquement ? Et bien, oui et non. Probablement parce qu'à part jouer la sécurité avec talent, on cherche encore là où ce premier album brille par sa singularité. Montées sur une production qui bourdonne délicieusement, les vingt-sept minutes proposées ici par Kontusion a le défaut de sa qualité, à savoir un esprit de bloc qui peut embêter sur sa (courte) longueur. Sans trop pouvoir distinguer un titre de l'autre, distillant du petit solo par-ci par-là, Insatiable Lust For Death se contente d'être au niveau du groupe qui l'interprète, incapable de véritablement décevoir. Et pourtant, il suffit de jeter une oreille à « Throne For Skulls » ou « Subjugation » pour comprendre que le death/grind punk de Kontusion part en combo avec un trombone. On reste au stade de la promesse à confirmer alors qu'il y avait le potentiel pour s'imposer directement comme rookie de l'année.

 

Goya

In The Dawn of November

Simon

Si je devais crever seul et de manière misérable, j'aimerais que ma lente agonie se fasse dans un rade de bikers d'une obscure périphérie américaine. Un de ceux qui sent la dépression sèche et l'alcool trop fort au bar, un bar qui respire en permanence l'opportunité d'une bonne bagarre entre personnes velues fortes de leur muscle utile, idéalement la queue de billard. J'aimerais y traîner mes angoisses et me voir décrépir au milieu de toutes ces âmes en peine, ces compagnons d'infortune devenu l'ultime passerelle matérielle vers une fin d'excès. Et si d'aventure je devenais programmateur de ce purgatoire, et bien j'y ferais jouer Goya. Je ne voudrais plus d'ailleurs qu'écouter cela, en particulier leur quatrième album. Je voudrais y entendre ce chant clair rageur et désabusé, qui cache derrière une formule assez catchy des textes d'une négativité impossible à dissimuler. « Depressive Episode », « I Wanna Be Dead », « Sick of Your Shit » ou « Cemetary Blues », ne me parlez plus d'autre chose. Je veux de la guitare accordée trop bas, du doom/stoner et du blues à la pelleteuse qui me rappellerait que dans une autre vie il y avait du mouvement. Entre deux shots de mauvais whisky je voudrais de cette attitude qui sent la dépression post-weed, la classe des pouilleux qui réfléchissent trop mais qui ont la flemme de changer quoi que ce soit à leur malheur ; je voudrais un son dans lequel je peux mordre de mes dents fragilisées, avec lequel je peux finir par m'oublier dans des états indignes. Pour mieux recommencer le lendemain. Je veux puer de la gueule de bois au petit matin avec In The Dawn of November dans les oreilles. Je veux crever avec style, et ce sera ma bande-son idéale pour traîner ça en longueur.

 

Clairvoyance

Chasm of Immurement

Simon

Comme son nom ne l'indique pas, nos inconnus de Clairvoyance sont polonais. Ils ont beau être inconnus, les natifs de Varsovie ont tout de même eu le bon goût de faire réaliser la pochette de leur premier album en forme d'anus géant composé de squelettes et de tombes par l’inévitable Italien Paolo Girardi – et, oui, il dessine tout le temps des anus stylés à l'acrylique. La vraie bonne idée est surtout d'avoir sorti Chasm of Immurement sur Carbonized Records, ce qui nous a permis, en bons suiveurs du label que nous sommes, de ne pas passer à côté de ce qui semblait pourtant être au premier abord une sortie assez confidentielle. Et, après une vingtaine d'écoutes, on s'en serait voulu. Premièrement parce que notre amour pour le death/doom d'hommes des cavernes est infini et que le groove de cimmérien couplé à la lourdeur sans limite est une des associations les plus vicieuses que le metal ait pu nous offrir. Deuxièmement parce que dans ce registre, les Polonais gèrent leur talent comme de vrais grands, alternant magnifiquement les chevauchées no-brain, les guitares lourdissimes comme un stand-upper bruxellois dans une formule, certes connue, mais à l’efficacité proche de la charge anti-tank. Enfin, troisièmement, parce que derrière son attitude de chef de meute néandertalien, Clairvoyance glisse subrepticement ses micro-incursions psyché/prog, ses nappes de claviers, ses tentatives d'intellectualisation (en témoigne la participation du guitariste de Tomb Mold sur « Hymn of The Befouled ») et que ça ne le limite pas à la horde de suiveurs au cœur du genre. Affaire à suivre vu l'entrée en matière.