Nouvelle édition estivale pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Mais ne vous méprenez pas: si les beaux jours sont de retour, l'équipe de goules en charge de ces colonnes continue de vivre dans les ténèbres pour vous dénicher le meilleur de cette sombre musique, avec ce mois-ci encore: death, grindcore et (prog) black. Vous connaissez le programme.
Blood Monolith
The Calling of Fire
Simon
Quitter Vastum pour créer quelque chose d'« encore plus moche, bizarre et agressif » avait tout de la promesse en l'air. Shelby Lermo – qu'on retrouve également à la guitare dans Nails ou Ulthar – semble pourtant déterminé depuis son exil vers Washington en 2023, remonté par quelque chose qu'on imagine lié à une forme de rancœur tenace. Un départ musical qu'il aura fallu combler immédiatement pour tenir le coup, embarquant au passage les musiciens les plus brillants (et bruyants) de la scène locale. Il ira piocher chez Undeath, Genocide Pact et Brain Tourniquet pour monter sa A-Team. Blood Monolith est né. L'idée est donc de débarquer dans la scène sans aucune référence à part celle de supergroupe : pas de démo, pas de clip, pas de single, pas d'annonce, pas de plan promotionnel. Juste une place bien au chaud dans le catalogue de l'essentiel Profound Lore. Pour le bizarre on repassera certainement, mais pour ce qui est de l'agressivité, Blood Monolith n'aura probablement aucun équivalent cette année, même au cœur d'un environnement metal qui ne manque pas de références de qualité en la matière. The Calling Of Fire est cette leçon d'ultra-rapidité, d'ultra-méchanceté et d'ultra-agressivité que tu n'as jamais demandé et qui te roule quand même dessus. Sans introduction, sans refrain, presque sans mélodie - si on exclut les solo de quatre secondes joués à mach-5. Un retour à la forme primitive qui prend indifféremment la forme d'une accumulation permanente de riffs death punitifs, de blasts surpuissants et de growls inhumains qui éructent presque sans soucis de signatures temporelles. Le death metal poussé au plus loin avant d'arriver au deathgrind ou au grindcore. Cela dure vingt-sept minutes pour 8 titres, ça compense pas mal son manque d'imaginaire par une violence magnifiquement maîtrisée, et ça régale à partir de la quinzième écoute (avant ça, n'espérez pas faire la différence entre deux séquences). Vite fait, bien fait.
Rothadás
Töviskert a kísértés örök érzete... lidércharang
Simon
Si je devais faire le résumé de mon obsession pour le death metal depuis octobre 2024, je chercherais moins à vous faire la présentation d'un groupe que celle d'un son. Après avoir poncé une bonne centaine de disques en dix mois – plus ou moins récents, plus ou moins classiques – je pourrai simplement vous parler du premier titre du nouveau Rothadás, issu de leur deuxième album au blase imprononçable. J'aimerais vous parler de cette vibration de guitare qui touche au cœur, qui incarne sans forcer tout le sel du death le plus vil, le plus putride et le plus méchant qui soit. A une minute et trente seconde dans « Urnaszellem...Szentek Csontpora » - c'est du Hongrois, calme-toi – le ton de cette guitare, inclus dans cette chevauchée infernale vers la crypte, atteint une intensité extrêmement simple dans son écriture dissonante mais tellement évocateur de l'enfer sur terre, de la décrépitude des choses. Le death devrait être ça, tout le temps et partout. À ce niveau de jeu, le genre prouve qu'au-delà de son intensité et de son rapport au dégueulasse, il est plus que nul autre le plus grand pourvoyeur de riffs infernaux - bon, ok, le black metal est bien en place pour cela aussi. Et pourtant Rothadás n'est pas à proprement parler du death d'église, le truc qui se répète par cœur. Son truc à lui c'est le death/doom vilain qui alterne entre les signatures temporelles propres aux deux genres avec une facilité dépourvue de toute honte. Une maîtrise qui octroie sans aucun doute aux Hongrois le Golden Ticket de meilleur album death/doom du semestre. C'est que Töviskert...A Kísértés Örök Érzete...Lidércharang (je l'ai dit, on ne m'y reprendra plus) est un disque complet, incroyablement intelligent dans sa manière de jouer avec patience et attention ses séquences successives, à distribuer sans cesse de la lourdeur et de la grosse punition sans jamais lasser, à faire respirer cette atmosphère méphitique pour toujours mieux remettre une couche de sauce andalouse par dessus. Quarante-cinq minutes sans la moindre erreur de jugement, qui alterne magnifiquement entre doom de guerre et death satanique ultra incarné. Un top 10 de fin d'année, pour sûr.
Diabolizer
Murderous Revelations
Simon
Comme à peu près tout le monde (même si vous ne le savez pas encore), vous aimez Hyperdontia pour sa place de nouveau truc cool du death moderne. Ce que vous ne savez peut-être pas encore, c'est que quand Mustafa Gürcalioğlu ne couche pas toute la concurrence avec des disques de la trempe de Harvest of Malevolence (ou qu'il n'assure pas la permanence avec Engulfed, un autre projet qui vaut son pesant de loukoums), notre nouveau Turc préféré mène la danse au sein de Diabolizer. Et Diabolizer, comment dire, c'est vraiment intense. Un death metal étiqueté 00's, immensément technique et brutal, qui devient rare par ces temps de revival OSDM. Diabolizer joue une musique selon un cahier de charge précis : de l'agression sonore qui tourne au sans plomb. Tous les curseurs sont ici poussés au maximum, il ne faut que ça ne retombe jamais d'un millimètre en intensité : la voix sont démoniaques, les guitares sont insensées et la production tonitruante. Dès la première seconde de « Into The Depths of Diseased Minds », on entre dans le premier cercle de l'enfer. Il n'y a d'ailleurs jamais de courbettes ici, ni de pause-déjeuner, Murderous Revelations a trente-huit minutes pour convaincre que ce Khalkedonian Death sorti en 2021 ne tenait pas du coup de chatte. Et toute cette durée sera pleine comme un oeuf, remplie à ras bord de riffs supersoniques et techniques. La production est un délice qui parvient à faire sonner chaque élément dans ce qui aurait pu être un bordel affreusement chaotique. Ça gicle de partout dans une veine très Deicide/Incantation et c'est évidemment taillé pour le cassage de nuques en règle. Et pourtant, si l'énergie est hallucinante, il ne fait aucun doute que la bande à Mustafa sait composer des morceaux. Non pas que la physique générale du disque demande un véritable travail intellectuel - c'est tellement gavé de testostérone que ça file droit même en faisant autre chose sur le côté -, mais il est tellement appréciable de voir le travail titanesque de composition derrière cette énorme machine à mettre des pains. Un régal de production globale qui allie la surpuissance du propos à l'intelligence dans la mise en œuvre.
Obsidian Tongue
Eclipsing Worlds of Scorn
Simon
Mon dieu, que l'obstination a du bon. Est-ce que c'était pour cette pochette qui promettait de l'obscur et du mystique au bazooka, ou alors car nous sommes des fan boys un peu concons de Profound Lore Records et de tout ce qui tombe de leur camion ou simplement que nos alertes se sont déclenchées au moment d'apprendre qu'Obsidian Tongue pratiquait un black metal progressif d'assez bonne facture ? Toujours est-il qu'on voulait l'aimer ce Eclipsing Worlds of Scorn, envers et contre tout. Si les premières écoutes révèlent un disque d'assez bonne facture, rien ne pouvait vraiment nous préparer à la dimension qu'allait prendre ce troisième disque des Américains dans nos coeurs. Monté sur une base strictement black metal qui fait penser à nos one-man band préférés dans son rapport à la solitude et à la tristesse (idéal pour fixer une oeuvre bien street cred), Obsidian Tongue dévie largement vers le travail des cracks du black typé cascadian (Wolves In The Throne Room ou Agalloch) jusqu'à lorgner parfois vers le blackgaze de Deafheaven. Tout ça est bien beau, notamment grâce à un travail extrêmement appliqué d'un groupe qui travaille ensemble malgré des performances individuelles déjà solidement affirmées. Un batteur incroyable au jeu si varié, du synthétiseur et des effets ajustés au millimètres, des guitares puissantes et évocatrices qui tapent tant dans le tremolo pleurnichard que dans la ballade folk en passant par l'agression bien franche et puis un chant qui va partout du chant de chien à la sérénade en voix claire. Eclipsing Worlds of Scorn regorge de détails, qu'on prendra soin de découvrir d'une écoute à l'autre jusqu'à devenir entièrement immergé dans ce grand tournoiement d'émotions variées. Comme dit plus haut, Obsidian Tongue prend toutes les longueurs du monde pour dérouler son art prog', non sans rappeler un Blood Incantation en moins prétentieux, un Pink Floyd sous guarana ou un Opeth simplifié en version forêts norvégiennes. Eclipsing Worlds of Scorn est un disque complexe dans sa manière d'être juste. Juste à sa place, juste dans sa composition et dans sa manière d'emmener l'auditeur avec lui sans en faire des caisses, rappelant sans cesse avec une humilité touchante que le groupe y a mis tout ce qu'il pouvait. Rajoutez une production brumeuse et mystique et vous obtenez-là un banger discret qui n'aurait jamais eu la prétention de s'annoncer comme tel. Énorme satisfaction.
Imha Tarikat
Confessing Darkness
Simon
Il est de ces groupes qui n’en ont pas grand chose à carrer de devenir grand à tout prix, préférant travailler leur formule dans le temps, inamovible et sereine dans son déroulement. C’est d’autant plus flagrant quand la direction artistique et la création musicale repose sur une seule personne, ne laissant de place qu’à très peu de discussion autour de la forme que cela prendra finalement. Kerem Yilmaz est de cette trempe-là, et Imha Tarikat est rigide et premier degré selon les volontés de son créateur. Quatrième album pour une quatrième déclinaison de ce que le mec sait faire de mieux : du black metal rituel extrêmement aligné, lorgnant tout le temps vers le black’n’roll satanique et les chevauchées en solitaire qui se veulent épiques et atmosphériques. Rhytmiquement on a la choix entre deux modes : le blast beat et la truande d-beat. Le mode est quasiment invariable, ce qui est finalement plus que nécessaire puisque derrière on envoie de l’énorme pâté guitaristique à base de tremolo vus et revus. C’est rapide, punk, triste et fâché à la fois. C’est atmo, pas bien novateur, mais ça marche. C’est surtout la voix de ce Kerem Yilmaz qui finira de faire passer ce projet de sympathique à bien recommandable. Lui qui chante toujours la gorge tournée vers le ciel, hurlant et implorant avec toute la sincérité du monde. Il est le liant définitif de ce projet condamné à ne jamais évoluer, incarnant magnifiquement toutes les signatures temporelles imposées avec dynamisme par les instruments en présence. Et de la on se rappelle alors que tout sort de cette unique tête, de cette unique vision blasphématoire. Ça pourrait être souvent raboté sur les côtés, 55 minutes c’est vraiment trop long sur ce genre de propos, mais ça marche à plein tubes tous les trois titres, nous faisant oublier que c’est presque tout le temps la même chose. Rien de neuf sous la lune, Imha Tarikat régale humblement dans son coin et tout le monde s’en branle.