Dossier

Television Rules The Nation #29

par la rédaction, le 27 décembre 2025

Chaque numéro de Television Rules The Nation, ce sont quatre suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique, mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

The Beatles Anthology

Que reste-t-il à dire sur les Beatles ? Que peut-il bien rester à montrer, à voir, à comprendre, à apprendre, à chercher, à trouver, à révéler ? Comment est-il possible de nourrir encore la bête (nous, les ayants droits, labels et autres) sur un cadavre qui devrait, depuis longtemps, n’être que poussière ? Michka Assayas, sur France Inter s’est grosso modo posé la même question, et tente une réponse : “il y a, de ma part, et je pense parler au nom de beaucoup de gens de mon âge, enfin, autour de mon âge, une sorte de plaisir enfantin, sinon infantile, à écouter toujours les mêmes récits”. Vrai, juste.

En 1995, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr, les trois membres survivants des Beatles, avaient supervisé une rétrospective détaillée et captivante sur l’histoire du groupe, le documentaire Anthology. Disney propose désormais une version remontée, enrichie d’un ultime épisode inédit, avec ce bon vieux Peter Jackson (Get Back) aux manettes. Cet ajout dévoile des séquences jamais entièrement montrées auparavant (mais donc partiellement), tournées lors d’une belle après-midi estivale en 1994. On y retrouve Paul, George et Ringo réunis dans le parc de la propriété de George, évoquant avec complicité leurs souvenirs de jeunesse et leurs espiègleries d’autrefois. Mignon. Tendre. Parfaitement inutile, pour peu qu’on s’entende sur le sens du terme.

En réalité, il ne s’agit plus tant de découvrir que de se reconnecter. Écouter à nouveau l’histoire de la rencontre Lennon-McCartney à la fête paroissiale de Woolton, voir George sourire dans son jardin en 1994, c’est retrouver la saveur d’une émotion première, celle de notre propre découverte du groupe. C’est un réconfort archaïque. Peut-être que le véritable objet de la quête n’est plus les Beatles eux-mêmes, mais la persistance de leur écho en nous. Chaque document, même familier, agit comme un miroir où se reflètent nos propres souvenirs, notre nostalgie d’une harmonie – musicale et humaine – qui semble appartenir à un âge disparu. La bête est nourrie, finalement, moins par la faim de révélations que par le désir doux-amer de réentendre la même belle histoire. En 2025, qui n’a pas besoin d’être rassuré ?(Nico P.)

Ozzy : No Escape From Now

En 2001, pendant que la France s’écharpait sur la question de la téléréalité, les Américains avaient déjà un temps d’avance : au début des 90’s, MTV filmait déjà des jeunes dans une colocation. Et donc, à peu près au même moment où Loana tombait sur Jean-Edouard au-détour d’un 50 mètres papillon, le monde découvrait, toujours sur MTV, le quotidien dysfonctionnel d’un Ozzy Osbourne hilarant presque par accident, alors en plein creux de la vague, et essayant tant bien que mal de garder le contact avec une réalité qui avait souvent l’air de lui échapper. Presqu’un quart de siècle plus tard, c’est un peu la même histoire qu’on nous ressert, à quelques différences près : on suit cette fois le Prince des ténèbres dans celles qu’ont été les dernières années de sa vie, dans une lutte perdue d’avance contre un organisme qui a trop vécu (« I used to take pills for fun, now I take them to stay alive », peut-on l’entendre soupirer).

Et parce que le sujet est trop important pour être pris avec légèreté (Ozzy : No Escape From Now est un objet posthume, une sorte de témoignage ultime), le format documentaire s’est assez logiquement substitué à celui de la saison en 12 épisodes. Mais bien qu’Ozzy Osbourne en soit l’alpha et l’omega, il y a quelque chose de dérangeant à voir ceux qui l’entourent cadenasser un objet qu’on aurait voulu précieux, mais sur lequel a été exercé un contrôle qui l’expurge trop souvent de son humanité, pour un résultat encore plus lisse que le front de Sharon Osbourne. Parce que la déchéance inéluctable d’un être qu’on a tant vénéré n'était peut-être pas quelque chose que l’on avait envie de montrer frontalement, Ozzy Osbourne semble trop souvent relégué au second plan d’un documentaire qui le glorifie. Pourtant, à chaque fois qu’il débarque et qu’il ouvre la bouche, il crève l’écran avec son humour piquant et sa sincérité désarmante. (Jeff)

Devo

“On est le liquide dans la poire à lavement du punk”. Cette phrase résume tout à la fois Devo, et l’excellent documentaire de Chris Smith, déjà acclamé à Sundance et désormais disponible sur Netflix. Devo, leur folie, leur musique, leurs ambitions aussi diverses que parfois comprises, mais aussi, l’incompréhension, le bizarre. Ce documentaire retrace, avec la même folie, la même énergie, le même déluge de couleur mais surtout une même réflexion artistique (dire mais comment ?), le parcours complet de cette figure majeure du rock post-punk, new wave et geek (le mot est laid, mais il est à sa place). Il explore les débuts, la montée en puissance, la transformation artistique et l’influence sur la culture. La réalisation s'appuie sur une riche collection d'archives visuelles et sur les témoignages de membres fondateurs, comme Mark Mothersbaugh et Gerald Casale, ainsi que de nombreux autres intervenants.

Certes, en 90 minutes, comment ne pas omettre, comment ne pas tricher ? On le voit, c’est sous nos yeux, le documentaire avance souvent trop vite, ne prend pas son temps. Pourtant, quel incroyable grand huit ! De Devo au Saturday Night Live à leur mentorat par David Bowie et Brian Eno (même si Devo a saboté les mixes d'Eno), de leur période de réalisation de films avec Neil Young, à leur domination précoce des ondes de MTV (un temps, juste un temps), s’attarde surtout sur les tentatives, sur les audaces, sur tout ce qui fait de Devo, et bien, Devo, et pas un autre groupe FM quelconque. Le documentaire montre, via de vieilles cassettes VHS et des images de concerts inédites, comment Devo a tâtonné et échoué. Ces clips vintage, avec leurs angles déformés et leurs gros plans flous, sont le véritable cœur du documentaire de Smith – ce qui a rendu Devo audacieux, magnifique et important, ce sont moins les succès que les échecs, cette envie d’en découdre, cette envie, plus que tout, de donner du sens, à un pays et une pop qui en sont trop souvent dépourvus. Mission partiellement accomplie, mais ce n’est pas la destination ici qui compte, c’est ce voyage. En auto-tamponneuses. (Nico P.)

La croisière metal

Au départ était l’idée, loufoque et bêtement évidente, drôle et étrange, celle donnant son nom à ce court documentaire (moins de vingt minutes au compteur) : une croisière, avec son paquebot, son capitaine, ses vieilles dames, sa piscine, son buffet… Une croisière oui, métal donc : ses cheveux longs, ses torses tatoués, ses lunettes noires et ses voix gutturales. Des métalleux au soleil, rejoignant la Jamaïque, qui s’amusent autant que le documentaire s’amuse de cette étrange chose. Mais bien vite (encore une fois, le temps presse, le sujet méritait bien davantage), c’est une autre histoire qui se dessine : celle de ce mec qui refuse poliment la weed qu’on lui propose, celle de ce père qui dit qu’il est fier de son fils, celle de ce couple qui se choisit une autre famille, celle de cette fan qui ose enfin aborder son idole… D’un postulat étonnant qui aurait sans mal pu devenir moqueur, The Metal Boat se fait progressivement plus intime, touchant, il n’est plus question ni de métal ni du moindre bateau. Le regard de la caméra change en même temps que celle de vacanciers de passage qui n’ont ici pas voix au chapitre mais qui sans nulle doute, hors champs, critiquent et grognent, craignent et moquent, chargés d’ignorance et de peur. Cette croisière est aussi celle des mentalités, qui vont de l’avant, et qui ne sont plus tout à fait les mêmes à l’arrivée. (Nico P.)

Validé

Dans Empire, publié en octobre dernier, les journalistes Simon Piel, Paul Deutschmann et Joan Tilouine arpentaient les allées les plus lugubres du rap français, celle où les artistes fraient – parfois malgré eux – avec les narcobandits, où les labels ne sont pas regardants sur les CV pourtant peu reluisant de certains interlocuteurs. Une enquête passionnante, au sérieux incontestable, et qui permet accessoirement de porter un regarder nouveau sur Validé, la série de Canal+ sur le rap français dont on pouvait parfois questionner le sérieux ou les ambitions. Mais voilà : on peut aujourd’hui mettre en parallèle certaines des situations évoquées par le menu dans Empire avec les déboires rencontrés par Apash Music dans cette nouvelle saison de 8 (courts) épisodes au rythme haletant. Lancé dans la saison 2, le label de Brahim et William est devenu une place forte du rap français qui veut miser gros sur Cobra, un duo un peu PNL, un peu NTM, dont l’ascension jusque-là fulgurante et parfaitement calibrée va connaître un sérieux coup d’arrêt. Car rapidement, vieux démons, et nouvelles tentations s’allient pour faire basculer les protagonistes du côté obscur. Et c’est là qu’après avoir lu Empire, on se dit que certains choix scénaristiques en apparence outranciers résonnent comme une version – certes simplifiée – des plaies qui gangrènent le rap français. Évidemment, les ficelles sont parfois aussi grossières que les placements de produits pour Adidas et Lacoste, et certains acteurs n’ont clairement pas le niveau, mais ça n’étonnera pas celleux qui ont vu les premières saisons ou n’importe quel film de Franck Gastambide. En ne choisissant pas entre divertissement dopé aux cliffhangers et désir de chroniquer la face la plus sombre du rap français, Validé trouve son équilibre et nous sort sa meilleure saison. (Jeff)

Green Room

Dans ce sous-bois claustrophobe, un groupe de punk hardcore, les Ain’t Rights, se retrouve piégé après avoir vu ce qu’il n’aurait jamais dû voir. La violence n’y est pas esthétique, mais physique, immédiate, comme un coup de basse dans les côtes. C’est du DIY à la tronçonneuse : pas de héros, pas de discours, juste l’instinct de survie. Le film pulse à la rythmique du punk : énergie brute, dialogues secs, morale de dos contre le mur. La bande-son est une déclaration de guerre, des Dead Kennedys qui hurlent « Nazi Punks Fuck Off ! » comme un mantra prophétique. Jeremy Saulnier monte un concert sauvage où le survival-horror épouse l’éthique punk. C’est cool parce que c'est entêtant, sale, et terriblement sincère. Un film qui saigne du même esprit que les vinyles crachés des années 80, et qui vous laisse sonné, comme sorti d’un squat en flammes.(Nico P.)