Dossier

Television Rules The Nation #28

par la rédaction, le 21 juillet 2025

Chaque numéro de Television Rules The Nation, ce sont quatre suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique, mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

Bleu Blanc Satan

Bleu Blanc Satan est un documentaire (dispo sur Society +, allez fouiller, on y trouve plein de chouettes choses) pour le moins déroutant. C’est aussi une expérience sensorielle et presque hypnotique. Tourné en noir et blanc, le film épouse l’esthétique brute et dépouillée de la musique qu’il explore, alternant entre froideur clinique et fulgurances romantiques. Le casting est parfait. On y découvre des musiciens à la fois marginaux et visionnaires, dont les récits oscillent entre provocation nihiliste et sincérité déchirante. Bleu Blanc Satan est un film sur une quête, celle d’une forme d’absolu artistique poussé dans ses retranchements. Alors on plonge tête baissée. Tête baissée dans cette contre-culture extrême, captant sa violence, sa poésie noire et son étrange beauté. La caméra traque les visages burinés, les regards fiévreux, les silences lourds de sous-entendus, et l’on ressent presque physiquement le poids de cette époque où le black metal français était à la fois un cri de révolte et un art total. La bande-son, abrasive et immersive, achève de nous happer. Éprouvant, fascinant, parfois insupportable, ce film s’adresse aussi à tous ceux que les cultures radicales intriguent. Bleu Blanc Satan interroge la limite entre folie et génie, entre pose adolescente et engagement existentiel. On en ressort secoué, avec l’étrange sentiment d’avoir frôlé quelque chose de profondément vrai. (Nico P.)

Chaos d'anthologie : Le festival Astroworld

Disponible sur Netflix, Chaos d’anthologie : Le festival Astroworld propose une plongée sans fard dans la tragédie survenue lors de l’édition 2021 du festival de Travis Scott. À travers des interviews de survivants, de secouristes et d’experts, le film déroule, de manière somme toute archi classique (l’essentiel est ailleurs) le fil des événements avec une précision clinique, alternant images chocs et analyses froides. Le documentaire assume son côté voyeuriste, jouant parfois sur l’émotion brute. Mais au-delà du sensationnalisme, une question est ici judicieusement posée : comment un événement aussi monstrueux a-t-il pu se produire sous les yeux d’une star adulée et de son équipe ? Travis Scott en sort particulièrement écorché. Le rappeur, présenté comme un instigateur inconscient du drame, apparaît prisonnier de son propre personnage. Celui d’un provocateur qui pousse toujours plus loin les limites. Le film montre comment son refus d’arrêter le concert, malgré les appels désespérés des médecins et les corps qui s’amoncellent, relève moins d’une simple maladresse que d’une arrogance systémique. L’industrie, elle aussi, est mise en cause : promoteurs avides, protocoles de sécurité bâclés, culture du "show must go on"… Le documentaire révèle une machine impitoyable où la rentabilité prime sur les vies humaines, et où les artistes, portés aux nues, deviennent parfois les complices de leur propre mythologie. Si Chaos d’anthologie n’innove en rien, il a le mérite de cristalliser des problématiques plus larges. Entre starification toxique, capitalisme événementiel et responsabilité artistique, le film dépasse le simple fait divers pour interroger un système qui a laissé filer toutes les alertes. Loin d’être un simple réquisitoire contre Travis Scott, il esquisse une réflexion sur l’aveuglement collectif qui entoure ces méga-concerts. Un miroir tendu. (Nico P.)

Cerrone Supernature

Quand la production de Canal + propose un docu sur Cerrone, la première crainte à avoir, c’est celle de savoir s’il y a un vrai projet derrière. Revitalisé dans son grand âge, Marc Cerrone a été célébré par les J.O. de Paris, monté par Gaspard Noé, en featuring avec Laylow… Bref, encore aujourd’hui, mais comme pendant toute sa carrière, c’est un artiste qui a un succès par vagues. Avec The Kongas, puis en solo, puis pour des films, puis de nouveau en solo, sa trajectoire est celle d’un intrus permanent, un gars qui ne paye pas de mine, qui a l’air encore aujourd’hui surpris d’être là où il est, mais qui, un peu malgré lui, a tout le temps de bonnes idées. Le point d’accroche du documentaire d’Olivier Lemaire, c’est le concert symphonique prévu pour précisément retracer cette trajectoire. On le voit répéter, travailler, chanter avec son chef d’orchestre : des images simples, sans voix off, rares dans ce genre de proposition. Et puis, évidemment, on retombe dans du classique : des gens qui ont vécu la carrière de Cerrone viennent tour à tour expliquer pourquoi il est le meilleur musicien de la planète. À un moment, je me suis dit, “s’il y a Nile Rodgers qui vient nous expliquer que c’est une légende, je me désabonne de Canal”. Ça n’a pas manqué – sauf que Bolloré m’a mis 24 mois d’engagement dans les dents, donc ma vengeance attendra. Malgré tout, indépendamment de celles et ceux qui voudraient découvrir Cerrone et pour lesquel·les Supernature fait très bien le travail, le montage et le rythme est dynamique, et franchement agréable pour retracer organiquement la carrière d’un batteur. Et parmi tous ces moments et anecdotes, tout le monde y trouvera son compte, entre quelques (rares) morceaux d’analyse sur la révolution que Cerrone a inspiré dans le mixage de la pop, sur la place qu’il accorde à la voix, ou des célébrités qu’on n’aurait pas cru voir ici. Sauf Nile Rodgers évidemment. (emileO)

Bad Bitch

Miroir du bad boy, la bad bitch est l’Autre de l’univers étendu du hip-hop. Et alors que l’imaginaire du gangsta rap californien prenait forme avec N.W.A., il créait une ombre qui avait besoin de se faire lumière. En 2025, les figures de la bad bitch sont nombreuses et ont acquis une notoriété internationale : c’est Megan Thee Stallion, c’est Nicki Minaj, c’est à un moment donné, au moins une fois, toutes les rappeuses. Bad Bitch, production de Grünt pour France.tv, propose à la fois une synthèse et une histoire d’un mouvement qui, même connu, n’en est pas si souvent nommé et réfléchi en tant que tel. C’est que la bad bitch dérangeait, et qu’elle dérange toujours : dans un Occident possédé par les blancs, dans un monde gouverné par les riches, dans un rap organisé par les hommes, elle est la figure de celle qui ose s’autoriser un discours sur la sexualité dans lequel elle est un sujet et non un objet, et un discours sur l’argent où c’est elle qui le dépense. Mais le documentaire interroge aussi finement la relation complexe et paradoxale que le mouvement du rap féminin entretient avec le féminisme, la difficulté de la compréhension de cet ethos en Europe, tout particulièrement en France. Les journalistes ont eu la bonne idée d’aller chercher les éclairages contemporains d’artistes comme Le Juiice ou La Brigada pour pouvoir donner de la consistance à ce qui n’est pas encore totalement un mouvement. Si vous n’êtes pas déjà versés dans le rap féminin d’outre-Atlantique, vous découvrirez d’ailleurs peut-être les pionnières de B.W.P., ou vous en apprendrez un peu plus sur Lil’ Kim. C’est en tout cas une première étape de synthèse, de partage et de reconnaissance des premières rappeuses à avoir franchi le cap de cette identité artistique, et assurément un vent frais et fort pour toutes les jeunes artistes qui ont besoin d’énergie pour lutter différemment contre des discriminations qui, elles, n’ont pas changé. (emile0)