Édito : Pourquoi on quitte Spotify
Comme l’a montré ces derniers jours la suppression des aides publiques de la région Île-de-France au festival Rock en Seine, la musique ne reste jamais longtemps dans la neutralité. Les prises de position, les textes, les sonorités, les influences : rien n’échappe à un positionnement politique qu’on peut alors critiquer, rejeter, embrasser, etc. Cette fois-ci, c’est un simple soutien au peuple palestinien par le groupe Kneecap qui a mis le feu aux poudres.
Sauf que l’engagement, c’est une séparation, et c’est parfois sacrément compliqué. En janvier 2025, Spotify a toutefois rendu les choses extrêmement simples. Dans une investiture présidentielle marquée par l’arrivée au pouvoir des militants fascistes, un salut nazi du numéro 2 de l’État américain et un pique-nique d’ouverture avec tous les influenceurs masculinistes et réactionnaires du moment, le géant suédois a esquivé la neutralité en beauté : 150 000 dollars offerts, un soutien à la présidence Trump, et l’organisation du pique-nique avec les podcasteurs les plus chauds de toutes les régions pour matcher avec « la bonne énergie masculine » de Mark Zuckerberg et consorts.
Alors, si quitter sa plateforme de streaming, c’est une action dont le ratio efficacité politique/simplicité technique est particulièrement faible, le plaisir de partir est total. Parce qu’on sait décrypter le bullshit de l’équipe de direction de l’entreprise qui assure vouloir se développer « quel que soit le pouvoir en place », et qu’on ne sera pas mécontent.es dans quelques mois ou années lorsqu’on se rappellera ne pas avoir été comme celleux qui soutenaient en 1939 que « quand même, Hugo Boss, c’est bien coupé ».
À côté de cet investissement politique, il y a tout un système économique tourné vers la mise en place de ces politiques. Daniel Ek, le bastardo in chief de Spotify a annoncé plus de 600 millions d’euros d’investissement dans un complexe militaire d’intelligence artificielle. De quoi mêler les plaisirs pour une plateforme qui, non seulement ne fait rien ou très peu pour ses artistes à l’ère de l’IA, mais laisse même planer les faux comptes et faux artistes qui garantissent des millions d’écoutes sur son appli. Il y avait déjà des signes, des investissements douteux, mais là, c’en est trop.
Plusieurs artistes ont déjà décidé de quitter la plateforme : nos braves copains de King Gizzard, qui ne sont pourtant pas des activistes de première, mais aussi Deerhoof, pionniers en la matière, et désormais d’autres gros noms comme Xiu Xiu, dont le chanteur Jamie Stewart disait chez The Fader récemment : « L’histoire a montré que les vendeurs d’armes vendront leurs armes à quiconque souhaite leur acheter. […] Notre musique ne tuera personne. »
Si Jean-Paul Sartre disait que la liberté n’avait jamais été aussi forte que pendant la guerre, c’est parce que les choix qu’on y fait sont lourds de conséquences. Comme le rappelle fréquemment le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanction), il ne s’agit pas d’un effort de pureté individuelle visant à se déculpabiliser : ne pas acheter Spotify, comme ne pas acheter Microsoft, c’est diminuer le capital économique des entreprises et des États qui financent les bombes russes et israéliennes. C’est freiner la lourde attaque des géants du numérique pour remplacer des artistes vivant·es, inaliénables et parfois politisé·es, par des productions générées artificiellement et qui rendent le monde dans lequel on vit moins beau et moins complexe.
Autre élément de poids dans la décision de quitter Spotify : absolument toutes les autres plateformes rémunèrent mieux les artistes. Alors, rien ne vaut l’achat direct de physique ou de dématérialisé à vos groupes préférés, mais en attendant la révolution, il existe des plateformes du moins-pire. C’est parfois peu comme chez Deezer (environ 1,5 fois plus d’argent dans la poche des artistes), et c’est parfois beaucoup comme chez Qobuz (presque dix fois plus d’argent pour les artistes). Quand on voit le prix des abonnements grimper, le début de la rentabilité pour Spotify qui a dû donner l’eau à la bouche chez les investisseurs, il est temps de quitter le navire.
Et pourtant GMD ne disparaîtra pas des plateformes de streaming. Comme pour vous, la possibilité de boycott est aussi simple que le permet la concurrence. Deezer, Qobuz, Apple Music, etc : sans être naïf·ves sur les gens qui possèdent ces plateformes, il y a pour l’instant une différence notable dans l’usage qui est fait de l’argent qu’on leur donne. Comment changer ? Par un des nombreux sites qui le permettent, comme Soundiiz, qui offre la possibilité de réaliser rapidement des transferts de playlists. Notre expérience s’est révélée très simple d’accès, et garantissant de conserver plus de 90 % de ses morceaux. Apple Music, de son côté, permet désormais d’importer directement ses playlists – le vent tourne.
Où on va ? En priorité sur trois plateformes déjà citées, à savoir Deezer, Qobuz et Apple Music, ce qui nous a semblé un bon compromis entre visibilité et transparence. Ça prendra peut-être un peu de temps, et vous ne retrouverez pas toutes nos playlists immédiatement, mais on vous sait compréhensif·ves et indulgent·es avec nous.