Watt
Bertrand Belin
Voilà maintenant plus de 20 ans que Bertrand Belin promène sa dégaine de poète dandy dans le paysage de la chanson française racée. Si les plus pointus des auditeur·rice·s l’ont sans doute découvert avec son album Hypernuit en 2010, c’est surtout ces dernières années qu’il est apparu au plus grand nombre en enchaînant un album parfait, Persona, qui connaitra succès et réédition, un tube avec « Oiseau », enregistré avec Laurent Bargaine & Tigre d’Eau Douce et même quelques rôles au cinéma dans L'Amour et les Forêts de Valérie Donzelli avec Virginie Efira ou chez les frères Larrieu. C’est en somme ce qu’on souhaite à tout chanteur ou chanteuse hexagonal·e, passer du statut d’hôte régulier de la playlist de France Inter à membre du club fermé de ceux et celles dont la sortie d’un album marque l’année (à l’instar pour 2025 de Feu! Chatterton ou Benjamin Biolay).
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Bertrand Belin a ce petit truc pour enrober son travail d’un bon goût assez implacable. Watt, son huitième album studio, ne fait pas exception. Une pochette qui claque, un titre d’album à la fois percutant et mystérieux et un premier single « L’inconnu en personne », dévoilé en mai, qui a tout pour plaire. Après une intro quelque peu jean-michel-jarresque, le Breton nous rappelle ce qui fait sa force : sa voix grave et son phrasé minimaliste, ses textes impressionnistes qui convoquent couleurs, matières et animaux et enfin ses arrangements, mélange précis d’économie et d’élégance.
On ne fera pas de mystère, Watt est un très bon album de Bertrand Belin. Plus encore que dans Tambour Vision, qui pour le coup nous semblait nécessaire pour accoucher de celui-ci, il réussit à affiner son travail d’association de cordes plutôt classiques avec des rythmiques plus électroniques et à obtenir un résultat organique et sophistiqué et dont le titre « Watt » nous semble la parfaite illustration - mention spéciale à la participation vocale de l’ami Rodolphe Burger qui ajoute à la densité du morceau. Si le disque s’autorise des incursions en territoire jazz avec « Tel qu’en moi-même », en pure chanson française avec « Certains jours » ou en trip hop avec « Rembobine », il brille par une cohérence qui tient surtout à son ambition tant musicale que littéraire : capter ce qui se joue entre l’intime, le collectif et l’environnement, au sens le plus large du terme.
Néanmoins, quelque chose nous a empêché de profiter pleinement de l’écoute de Watt. Quelque chose qui a toujours été présent chez Bertrand Belin et qui nous plonge dans une impasse critique voire peut-être même une impasse auditrice : la proximité évidente avec l’œuvre d’Alain Bashung. Il n’est évidemment pas question de s’interroger sur la nature consciente ou inconsciente de cette proximité mais nous ne pouvons pas en faire fi au moment d’écrire ces lignes. Nous ne pouvons pas ne pas penser à Fantaise Militaire et L’Imprudence quand nous écoutons « La béatitude », « Pluie de data » ou « Berger ». Cette juxtaposition de mots à la Jean Fauque, cette diction majestueuse un peu au-dessus de la mêlée, ces orchestrations si singulières, tout nous rappelle l’œuvre du chanteur disparu en 2009. Et un peu malgré nous, on finit par se demander qui est vraiment Bertrand Belin, artiste multiple et talentueux mais qui commence un peu trop à ressembler à un personnage abouti et qui maîtrise à ce point son art qu’il en entame un peu le charme.