Supreme Clientele 2

Ghostface Killah

Mass Appeal – 2025
par Ludo, le 15 septembre 2025
8

Pour un type né dans la deuxième moitié des années 90, écrire sur Ghostface Killah n’a probablement pas la même symbolique qu’une exégèse d’un hypothétique Yeezus 2 prévu pour les giboulées de 2038. Par ailleurs, même chez ses fans historiques, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont arrêté de le suivre à la trace, tout en continuant de vénérer la Trinité Ironman / Supreme Clientele / Fishscale. Mais à l'occasion de la sortie du sequel tant attendu d'un des meilleurs albums de l'histoire du rap, n'importe quel zoomer fan de rap se doit de mettre sur pause ses écoutes autistiques de Playboi Carti pour se confronter au monde extérieur et enfin toucher de la pelouse. 

Passée une mise en bouteille à la lenteur excessive (il fut un temps question que Supreme Clientele 2 soit produit par Kanye West et sorte entre Donda et Donda 2), voilà que Nas, dans un arc intitulé Legend Has It... qu'on espère légendaire, sort sur Mass Appeal des nouveautés de lui-même, Raekwon, Mobb Deep, De La Soul, Big L, Slick Rick et donc le fameux Supreme Clientele 2 du Wally Champ. Mettre un 2, un 3 ou un 4 derrière un album qui a bien marché est une pratique courante dans le rap, beaucoup de gens l’ont fait (Jay-Z ne s’en est jamais privé), et aujourd’hui plus personne ne doit s’étonner de trouver que le huitième ou le neuvième opus est, contre toute attente, moins bon que le premier de la série (demandez aux fans de la saga Hellraiser, dont Inspechtah Deck, ils vous expliqueront).

Donc oui, Supreme Clientele 2 est objectivement moins bon et moins innovant que le premier du nom, mais ce nouvel album a le mérite de marcher dans les pas du premier tout en proposant quelque chose de différent, pas juste une suite fade et remplie de fan service qui dévoilerait un peu trop les ficelles de fabrication du précédent, en risquant même d'en fragiliser son aura. Au contraire, en composant ce nouvel album qui paradoxalement reprend certains morceaux datant des années 2000 restés jusqu’ici au placard, Ghostface fait un effort pour revenir à la lumière en ne négligeant pas son propre plaisir et en nous communiquant son enthousiasme particulièrement contagieux. En cela, nous pouvons parler d’un véritable retour en grâce, comme celui d’un pote plus vu depuis longtemps, qui illumine votre soirée de retrouvailles avec des anecdotes toutes plus farfelues les unes que les autres, des carabistouilles où il refait l’histoire en se présentant comme l'actuel plus gros kingpin de la ville ("Candyland"), le retour de ses obsessions pas piquées des hannetons (les Wallabees, la bouffe, la fumette, les comics, les grosses poitrines), et surtout une émotion qui déborde un peu partout et de manière imprévisible avec son lot d’épiphanies et de stream of consicousness tout droit sortis de son choxipeau magique ("Metaphysics"). Cette urgence dans la verve et dans le verbe se ressent dans les passages de l'album où il songe tour à tour à compléter sa descendance in front of the sea ("The Zoom") ou à s’assurer que son meilleur ami pensera toujours à lui en cas de décès prématuré (sur "You Ma Friend", peut-être en référence à son diabète qu’il combattait déjà à l’époque du premier Supreme Clientele).

Et quel plaisir de l’entendre rapper aussi passionnément que sur le premier vrai morceau de l’album sobrement intitulé "Iron Man" où il nous démontre en filigrane qu’il n’a pas changé. À cet âge presque canonique pour une légende du rap (55 ans fieu), Pretty Toney peut également se faire plaisir en groovant à nouveau comme pas possible sur un morceau gangsta ("Georgy Porgy"). En effet, qu’est-ce qu’un énarque de Pitchfork qui avait défoncé en 2009 avec beaucoup de mauvaise foi ses arabesques popesques (le très RnB Ghostdini: The Wizard of Poetry in Emerald City, on y revient) pourrait encore lui dire ? Vous l’aurez compris, à l’instar de notre pote Simon qui avait écrit une lettre d’admiration à Gucci Mane lors de la sortie de Everybody Looking en 2016, loin de nous l’idée de jouer le trouble-fête en se concentrant sur les quelques fillers et interludes parfois d’un goût douteux qui rallongent inutilement la durée de cet album. Contentons-nous de célébrer le retour en grand forme et sous le feu des projecteurs d'un de nos rappeurs préférés et osons espérer qu’il en sera de même un jour pour Ye.

Le goût des autres :