Nocturnal Birding

L’art est souvent un terrain de jeu exploité par des énergumènes désireux de faire reculer ses frontières, et ainsi ouvrir toujours davantage le spectre des perceptions. Bien sûr l’art contemporain en est une illustration majeure depuis des décennies. On pense instantanément à David Lynch, qui a repoussé sans cesse les limites de l’imaginaire et de l’inconscient au grand dam des puristes et des bien-pensants qui ne voyaient dans son œuvre qu’un grand n’importe quoi. Dans la musique, comment ne pas citer Sunn O))) et son jeu à deux guitares des plus épuré mais dont la lourdeur et le plein volume des amplis dans lesquels elles sont branchées en font une expérience davantage viscérale que simplement musicale. 

D’autres vont encore plus loin dans la démarche et font de celle-ci un véritable cas d’école. Tristan Shone est la tête pensante d’Author & Punisher mais est aussi et surtout un brillant ingénieur en mécanique qui, outre le fait d’être un musicien inspiré, fabrique lui-même les machines et instruments qui lui servent à s’exprimer. Car même s’il officie dans un registre doom / indus, le bonhomme ne se contente pas de s’asseoir derrière un laptop et de mettre bout à bout des séquences issues de banques de sons glanées çà et là. Shone pense et crée ce qui lui servira à créer. C’est là tout l’intérêt d’ailleurs puisqu’en plus d’offrir des palettes sonores différentes des simples button pushers, la musique d’Author & Punisher sonne profondément organique, un peu comme si l’artiste voulait réhabiliter une certaine idée de la nature et du geste humain bouffés de plus en plus par la machine. Une science-fiction naturaliste ? Pourquoi pas ?

Et de nature il en est véritablement question sur Nocturnal Birding puisque les titres qui le composent partent tous de chants d’oiseaux. Au gré de ses balades en forêt et de ses enregistrements à la volée des piaillements de volatiles, Shone a trouvé la matière première à l’élaboration d’un album qui se caractérise par un mariage fou entre douceur et violence. Épaulé cette fois par le guitariste Doug Sabolick (A Life Once Lost, Ecstatic Vision), Tristan Shone, de son propre aveu, aurait trouvé un véritable partenaire créatif, qui, à l’écoute de ce nouvel album, parvient à relever voire à marquer les compositions d’une identité supplémentaire sans bien sûr prendre le pas sur les idées de l’ingénieur en chef. Si Krüller en 2022 assumait son côté ambient, Nocturnal Birding se veut autrement plus frontal avec ses 34 minutes pour huit titres qui ne demandent qu'à exister en live.