LE BRUIT DE LA MACHINE À BILLETS
Huntrill
Fin novembre 2025, sous les ors du Palais Bourbon, se jouait un nième mélodrame dont la France a le secret : des discussions enflammées autour de la taxe Zucman. Longuement débattue et commentée, les sbires de la Macronie appuyés par la peste brune ont finalement enterré cette mesure censée toucher le chiffre pharaonique de 1.800 foyers fiscaux dans le besoin... Alors, dans l'attente du Grand Soir, notre unique lot de consolation après ce vote pourrait désormais résider dans l'espoir que Huntrill ait désormais un boulevard pour accomplir son œuvre : " l'objectif c'est être riche, c'est pas être riche et célèbre ".
Car disons-le : si Bernard Arnault est a peu près aussi cool qu'une doudoune sans manche à un séminaire de commerciaux, Huntrill et son rap qui fleure bon l'évasion fiscale arrivent à faire vaciller nos aspirations les plus marxisantes sur la destruction prochaine du Capital. Des certitudes qui s'étaient déjà grandement fissurées lors de la parution de Replica 2 et Nouvelle Trap 2 en 2024, tant le rappeur signé sur Don Dada maîtrise l'art de disserter sur le biff, la moula, les racckks, la caillasse, et autres synonymes pour parler du dieu argent.
Si certains rappeurs traînent leur spleen et ont "l'argent triste", LE BRUIT DE LA MACHINE A BILLETS, huitième projet d'Huntrill, nous emmène dans une vie où son compte en banque a autant de zéros que Nicolas Sarkozy a de condamnations à son casier judiciaire. Attention, ici on ne parle pas d'une richesse qui s'étale comme celle d'une vulgaire influenceuse lifestyle à Dubaï; non, le jeune Essonnien ne s'abaisse pas à du bas de gamme, il empile les phases toutes plus insolentes les uns que les autres : "As-tu d'jà mis un pull à 1.500 juste pour faire une sieste ?" sur "30 jours après" , "J'connais pas mes textes mais j'connais des codes de cartes par cœur / Donc j'ai du Dior des deux côtés d'l'Équateur" sur "riche pas célèbre", " Tellement d'liquide dans la poche qu'on dirait qu'j'me suis pissé dessus " sur "Trois Soleils". Et la liste pourrait encore être longue comme la distance qui sépare le nombril des vertèbres de Gérard Larcher.
Vous nous direz "rien de nouveau sous le soleil". Effectivement, parler de ses tals pour mettre la concurrence plus bas que terre est un schéma vieux comme le rap jeu. Sauf que certains ont hissé cette pratique au rang d'art. Dans le numéro 567 de la Nouvelle Revue française, Thomas Ravier, dégainait le concept de "metagore" pour décrire le style cru et visuel d'un certain Booba. Ravier parle alors d'"une apparition, vénéneuse, rétinienne, brusque, brutale, impossible à se retirer de la tête", et on ne pourrait parler mieux des "barz " que balance Huntrill tout au long de son nouvel album. Un egotrip poussé au maximum par un savant effet d'accumulation; piste après piste, on se fait matraquer comme une évidence que le boug est infiniment plus riche et plus stylé que nous autres "vulgum pecus". Non content de s'être hissé en haut de la chaine alimentaire du rap hexagonal (ses propos, pas les nôtres), le protégé d'Alpha Wann (qui vient évidemment faire coucou) s'entoure une fois encore des producteurs 5 étoiles tels Hologram Lo', Jayjay ou Malek Ben Becher pour lui façonner un univers sonore tantôt bling, tantôt lugubre, et dont la luxuriance n'a d'égal que la finesse des linges dignes de sa carte de crédit. Une dualité dans les ambiances qui servent un décorum où l'auditeur peut aussi bien se retrouver sur un parking avant un go-fast que dans le hall d'entrée du Marriott.
Reste quand même une énigme : à quoi bon s'emmerder encore à tant d'efforts si le rap ne semble être qu'un simple hobby pour lui ? Alors Huntrill, simple Christophe Rocancourt ou véritable Tony Soprano ? L'avenir nous le dira.