La fuite en avant

Orelsan

7ème Magnitude – 2025
par Yoofat, le 14 novembre 2025
7

Durant l’été 2025, nombre d’observateurs du rap américain ont commenté avec intérêt le roll out entourant la sortie de Let God Sort Them Out, le quatrième album de Clipse. En campagne pour gagner le premier Grammy Award de sa carrière, le duo virginien avait inondé le Net d’interviews pour marquer le coup de manière significative. En France, on n’a ni Clipse, ni suffisamment de médias pouvant proposer des interviews qualitatives, mais on a Orelsan qui, comme à chaque sortie de projet, se propose d’envahir nos feeds. C’est évidemment plus facile quand on est blanc et qu’on propose un rap grand public, mais cela souligne quand même l’ambition du Caennais de toucher le plus grand nombre, là où une partie de ses confrères fait le choix de la niche et fidélise sans s’afficher à Quotidien ou sur France Inter.

Les deux projets qu’Aurélien Cotentin défend actuellement sont liés : il y a d’abord son deuxième film en tant que scénariste et acteur, Yoroï, et, donc, ce cinquième album solo. Deux projets à l’ambition clairement à la hauteur du pactole contre lequel le rappeur a signé chez Sony Music en 2023, deux projets dont la réussite artistique est aussi évidente que frustrante. Même si ici, c’est pas Goûte mes Disques Blu-Ray, on peut au moins évoquer brièvement ce nouveau film du Orelverse, réalisé par David Tomaszewski. On peut trouver bien des qualités à ce long-métrage léger, drôle, un peu effrayant parfois, et proposant une réflexion intéressante sur nos propres angoisses et la place qu’elles prennent dans notre quotidien. Yoroï est beau d’un point de vue esthétique, emprunte à Mon Voisin Totoro de Hayao Miyazaki ou à Ghost de Stan Winston, et offre aussi son lot de scènes d'action chiadées dans lesquelles Orelsan et son binôme Clara Choï sont à leur avantage. Le défaut majeur de ce film sera sans doute sa plus grande qualité sur le long terme : son manque évident de radicalité. Car même si les idées sont originales, même si le traitement du folklore est suffisamment satisfaisant pour plaire à un 'pp manga' comme bibi, on sent que le film se limite au consensuel, à la bonne conscience, à l’envie de satisfaire un maximum de monde, quitte à frustrer des spectateurs en attente d’une proposition plus originale.

On peut grosso modo faire les mêmes reproches à Yoroï qu’à La fuite en avant. Plus largement même, depuis La Fête est finie, les projets d’Orelsan ont une valeur didactique nettement plus prononcée. On avait souvent l’impression qu’il nous faisait la morale, comme si on était Gringe en 2011 (vous l’avez ?), notamment sur Civilisation. Sur La Fuite en avant, l’anti-héros bâti par Orelsan se fait la morale à lui-même dans une première partie d’album où ses craintes et ses angoisses - ses yokais dans le film Yoroï - sont transformées en chansons parfois pertinentes, parfois triviales. On y apprécie les ouvertures maîtrisées qu’il se permet en collaborant avec la Japonaise Lilas du duo YOASOBI sur le son 2-step "Plus rien" et les Coréennes du groupe FIFTY FIFTY sur "Oulalalala" et sa structure K-Pop. On aime beaucoup ses réflexions et ses inquiétudes prénatales touchantes ("Deux et demi" et surtout "Dans quelques mois"). Toujours en usant de ses deux figures de style préférées, l’hyperbole et l’énumération, Orelsan grossit les traits de sa réalité en la rendant comique, voire absurde, avant de nous bourrer d’images et de références liées au sujet de ses chansons.

C’est dans la deuxième partie de l’album qu’Orelsan résout les problèmes qu’il avait introduits dans la première. Introduite par Orelsama, sorte de Slim Shady version tous publics, cette séquence de l’album offre des résolutions satisfaisantes et superbement interprétées aux problématiques présentées sur les premières pistes ("Les monstres", "Epiphanie"). C’est très bien écrit, c’est très bien chanté, et "la petite voix", symbolisée par Orelsama est vaincue, et tout est bien qui finit bien. La réalisation est excellente, mais on est en droit de se demander si Orelsan se permettra de nouveau de nous heurter dans ses nouvelles propositions, ou si sa nouvelle direction artistique l’impose d’être une sorte de dessin animé Pixar du rap game (il y a pire comme destin, on est d’accord). Quitte à se créer un alter ego capable de tout dire à sa place, n’aurait-il pas été intéressant de lui accorder plus que deux pistes dans cet album ? N’aurait-il pas été plus percutant d’avoir une fin plus contrastée, des défaites plus concrètes ? Personne n’exècre les happy endings, mais qui les adore vraiment ?