Dump Gawd: Hyperbolic Time Chamber Rap 20

Tha God Fahim

 – 2025
par Jeff, le 12 décembre 2025
8

On va terminer l’année comme on l’a commencée : en se demandant comment Tha God Fahim parvient à afficher une productivité aussi ahurissante sans nous sortir par tous les trous. Rappelez-vous : en janvier, nous évoquions son association avec Nicholas Craven, grand spécialiste de la boucle soulful au service d’une esthétique qui caresse dans le sens du poil le fan du son new-yorkais bien « gritty ».

Entamée fin novembre 2024, cette association entre le producteur canadien et le MC basé à Atlanta comptait déjà quatre (courts) volumes quelques semaines plus tard, et on sentait déjà bien que ces deux-là n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin. Mais de là à imaginer que moins de douze mois plus tard elle en serait à sa 22ème itération, non. Pourtant, nous y voilà : dans une dynamique qui interroge autant qu’elle fascine, Nicholas Craven et Tha God Fahim continuent de charbonner sans se préoccuper de ce qui se passe autour d’eux, sans vraiment questionner notre capacité à les suivre dans leur délire productiviste.

Aux fins de la présente chronique, on va vous épargner l’écoute des 15 premiers volumes pensés comme les épisodes d’une première saison, et plutôt se concentrer sur les 7 qui ont été livrés ces dernières semaines – rien que de l’écrire, ça me fatigue. Entamée sans la moindre surprise dans la forme comme sur le fond (des boucles minimalistes et un rappeur qui convoque tout ce que le vocabulaire guerrier peut usiner comme métaphores pour asseoir sa prétendue supériorité), la série Hyperbolic Time Chamber Rap a trouvé un souffle nouveau dès son 17ème volume en introduisant le personnage de Jay NiCE, un autre pourvoyeur sudiste de streams of consciousness réservés aux seigneurs de l’underground qui ont choisi de flinguer leur vie sociale pour (essayer de) suivre un sous-courant du rap totalement imprévisible dans son calendrier de sorties.

Inconnu de l’auditeur de rap lambda, pas spécialement remarquable quand on écoute ses travaux en solo, il trouve une raison d’exister aux côtés du charismatique Tha God Fahim, avec qui il a régulièrement croisé le fer ces dernières années. Mais si les passes d’armes entre les deux MC’s sont aussi mémorables, on ne va pas se mentir, c’est grâce à un Nicholas Craven dont la versatilité, bien plus marquée que sur ses précédentes livraisons pour Tha God Fahim, est l’atout premier d'un EP comme Dump Gawd: Hyperbolic Time Chamber Rap 20, qu'on a choisi de mettre en évidence dans ce papier. Ici, la variété se trouve autant dans la richesse inattendue des samples, que dans la façon dont ils sont travaillés et exploités, comme pour répondre à des détracteurs qui voient en lui un beatmaker trop monomaniaque pour être pertinent au-delà d’un rayon d’activité limité à Roc Marciano, Your Old Droog et quelques autres.

Dans un rap assoiffé de visibilité, à la recherche permanente d’un X factor qui n’a certainement pas la prétention de détenir, Tha God Fahim continue d’imposer sa vision antithétique, celle d’une proposition musicale qui fonctionne auprès d’une niche qui accepte d’être waterboardée par une discographie qui se compte en centaines (!) de références, et dont elle peine à entrevoir les limites. On ne sait pas où il va, on ne sait pas pourquoi il fait ça, mais on prend un pied fou à souffrir.