DOM PERIGNON CRYING
Josman
Avec ou sans argent, dans le métro ou dans la Porsche, Josman a le seum quand il rappe. À mesure que se sont enchaînés les projets, son extrême cohérence textuelle et stylistique a souvent été vue comme quelque chose de répétitif, voire de régressif, lui qui parle de ses états d’âme liés tantôt au manque, tantôt à l’excès de matériel. Quelle qu'ait été situation sa financière, son rap, sa musique, son art a toujours su capturer et théoriser le seum sous toutes ses formes.
DOM PERIGNON CRYING, son quatrième album, est au moins le deuxième projet sorti depuis que le rappeur a pris une nouvelle forme. En effet, même si ce dernier rappelait déjà à quel point il était blindé dans M.A.N (Black roses & lost feelings), c’est justement ce dernier album qui lui a fait passer un palier, en termes de notoriété et de maturité artistique, notamment grâce à l’immense succès de l’intro dudit album. Depuis, il y a eu J. 000$, une mixtape sortie sans être annoncée et dans laquelle, pour la première fois, le flex et l’egotrip supplantaient ce spleen inhérent à sa musique. Flamboyant comme il ne l'a jamais été auparavant, on le voit ici célébrer l’accession à ses délires matérialistes les plus grands, bien qu'il ait conscience que le monde brûle autour de lui. Le monde brûle encore et Josman nous le narre à sa manière.
Passé un certain nombre de projets, on ne peut plus s’attendre à ce qu'un artiste change radicalement sa façon de faire de la musique ou qu'il aborde de nouvelles thématiques. Dans le cas où un nouveau projet sort, on va davantage s’intéresser aux potentielles évolutions apportées, et surtout apprécier les qualités qu’on lui connait déjà. C’est alors étrange que la faiblesse (toute relative) des rimes de Josman dans DPG ait été pointée du doigt par une partie des internets, comme si cela était nouveau. Josman n’a jamais été un grand rimeur dans le sens premier du terme, son écriture ne brille pas par ses punchlines ou ses "quotables". Dans la richesse de son vocabulaire, dans son sens de la formule, dans sa cadence et dans ses placements, c’est principalement là que réside sa force, et c’est encore dans ces domaines qu’il brille. Dans "le fond", DOM PERIGNON CRYING fait une sorte de synthèse de ses deux derniers projets majeurs, mélangeant les oripeaux de J. 000$ et le spleen de M.A.N. La force de ce projet réside principalement dans cet entre-deux, entre capitalisme compulsif et nihilisme incontrôlable. Les petites bulles de Dom Perignon qu’il dit retrouver dans ses larmes symbolisent ainsi cet oxymore qui n'en est pas vraiment un. Et non, en 2025, l’argent ne fait toujours pas le bonheur et nous remercions nos poètes urbains millionnaires de nous le rappeler.
Au-delà de cette réflexion nombriliste que bien des rappeurs de sa génération avant lui ont pu nous servir (Ninho, Damso ou Dinos pour ne citer qu’eux), DOM PERIGNON CRYING nous rappelle aussi à la grande versatilité de l’un des artistes les plus talentueux de sa génération. Invité par bon nombre de ses confrères depuis plusieurs années, collaborant tant avec Wejdene que Guy2Bezbar ou Arma Jackson, Josman use de ses multiples casquettes, de son grand talent d’interprète et de mélodiste, notamment dans une deuxième partie d’album plus ouverte et rafraîchissante que la première. Sur du baile funk ("Mateus") ou sur un slow jam 2.0 avec un Hamza en cruise control ("Sloppy toppy"), Josman joue avec ses teintes et ses inflexions de voix, s’amuse et n’ennuie jamais ou rarement.
Le rappeur d’origine angolaise n’a jamais aussi bien jonglé avec ses deux lubies que sont le matérialisme et le spleen. Quand bien même cette dualité atténue forcément ses prises de position politiques ("j'ai fait un putain d'rêve en noir, douze putains de millions de fils de putains dans l'isoloir /putain d'fiasco, nique un facho", rappe-t-il sur "Tendu"), on peut timidement les saluer, bien qu’elles donnent l’impression d’avoir été incluses dans l’album pour remplir un cahier des charges plus que pour contribuer de manière constructive au débat sur la normalisation du RN. On doute que J.O.S puisse un jour devenir un rappeur au contenu textuel plus poussé, mais on continuera au moins de l’écouter pour ce seum qu’il sait si bien nous conter.