Baby
Dijon
Le 11 juillet 2025, Justin Bieber sortait son septième album solo, Swag. Jeune trentenaire et affranchi de son bienfaiteur Scooter Braun, le Canadien choisissait, avec ce nouvel album, de créer différemment; moins de concessions et plus de cœur. L’album, franchement intéressant et sans nul doute l’un de ses meilleurs, témoignait surtout de l’intérêt de son auteur pour la musique créée hors des sentiers battus.
Car si le casting s'est fait avec des noms bien identifiés des fans de rap américain (Sexxy Red, Gunna, Ca$h Cobain), les vrais stars de ce disque sont ses producteurs un peu barrés dont le grand public n’a jamais entendu parler. On parle ici de Eddie Benjamin, de Mk.Gee et donc de Dijon, trois figures importantes de ce qu’on rangera sous une appellation un peu fourre-tout : le bedroom R&B, un sous-genre qui insiste sur l’aspect introverti et sensible de ses auteurs, narrant avec bravoure et impudeur des relations amoureuses teintées de moments de gêne, de dépression ou d’angoisse.
Dijon, en plus d’être le chanteur le plus intéressant de cette scène, est aussi celui s’étant manifesté le plus rapidement suite à la sortie de Swag. Son deuxième LP, Baby, a été annoncé trois semaines après celui de Biebs et est sorti la semaine suivante. On pouvait craindre que la nouvelle exposition de Dijon, toute relative certes, lui aurait inspiré des envies de refrains plus lisibles, de productions plus lisses. Mais pour certains artistes, notamment pour ceux qui réfléchissent leur musique bien en amont, le formatage n’est pas une option.
Une autre chose qui rend Baby particulièrement fascinant, à l’instar de son précédent album Absolutely, c'est sa facilité à faire cohabiter plusieurs styles, plusieurs influences de manière complètement naturelle et organique. Son sens du storytelling, moitié lubrique moitié dandy, pourrait nous rappeler Prince, D’Angelo ou Miguel, ses drums très 80’s sur plusieurs pistes font penser à ceux de Eric B ou de Jazzy Jeff, et son apparent instinct primitif illustré sur la cover, nous rappelle volontiers à une énergie punk véritable - et pas celle inspirée du catastrophique Rebirth de Lil Wayne. Les sentiments semblent purs car presque tout semble être fait à l’instinct, par une bande d’amis se comprenant sans dire mot. Une autre inspiration qui saute aux yeux est celle de Kanye West époque Donda. À de multiples égards, ce disque est condamnable, au moins moralement. Cependant, il a permis une forme de désacralisation de la création musicale en faisant sortir certains morceaux semblant être à l’état d’ébauche, et a certainement permis à d’autres artistes, Dijon donc, mais aussi Andrew Sarlo ou Henry Kwapis, de créer sans avoir une idée arrêtée de la chanson "parfaite".
Pour autant, absolument rien n’est parfait dans cette fantastique exploration de la paternité. Mais tout semble pourtant à sa place, qu'il s'agisse des envolées riches et gracieuses sur "HIGHER!" ou "Yamaha", de cette soudaine introspection nous transportant face au père de Dijon dans "my man" ou de la façon légère et mielleuse qu'à le chanteur de nous parler d'amour sur "Kindalove". Au final, Baby de Dijon a assez peu de points communs avec le Swag de Justin Bieber, sinon les thèmes et la chaleur humaine qui se dégage de ces projets lumineux et réjouissants. Et l'un comme l'autre, on ne les avait pas vus venir, ce qui rend la découverte d'autant plus réjouissante.