Alfredo 2

Freddie Gibbs & The Alchemist

ALC Records – 2025
par Côme, le 3 août 2025
7

Freddie Gibbs a besoin d’être bien entouré. Seul aux commandes du navire, le natif de l’Indiana a en effet une fâcheuse tendance à se prendre les pieds dans le tapis. S’il nous fallait donner un unique exemple, on évoquerait Shadow of a Doubt, qui suivait le Piñata en collaboration avec Madlib, et sur lequel Freddie Gibbs était en roue libre sur un projet qui semblait long comme un jour sans pain. Et en parallèle de ses disques, on ne compte plus le nombre de comptes Instagram qui ont fini par sauter vu la fâcheuse tendance du rappeur à poster tout et n’importe quoi, avant que son management décide de créer un compte officiel sur lequel il n’a pas la main. Et pourtant, Freddie Gibbs est capable de bien s’entourer. En parallèle d’une aventure commune avec Madlib qui donnera normalement un jour un troisième volume (si celui-ci n’est pas parti dans les flammes), le meilleur rappeur chauve a ainsi également décidé de s’offrir les services du meilleur producteur chauve, The Alchemist. Et l’alchimie de remarquablement bien fonctionner, le coke rap de l’un semblant fait pour les boucles de l’autre sur Fetti (avec également Curren$y) et surtout sur Alfredo, au point de lui donner une suite 5 ans plus tard. 

Si le premier volume était direct dans son amour des films de mafieux et de la vie de ses personnages, son successeur évacue immédiatement tout cet imaginaire, ne serait-ce qu’au niveau des différents participants. Exit Rick Ross, Benny The Butcher et Conway The Machine (et Tyler The Creator, certes), et bienvenue Anderson Paak, Larry June et JID. Échanger De Niro et Joe Pesci pour Chris Pratt et Adam Sandler, le résultat aurait pu être une infâme suite digne du pire du cinéma américain. Heureusement, Freddie Gibbs reste de son côté fidèle à lui-même : énervé, chaotique et absolument sans filtre. Tout le disque est pour lui un formidable exercice de règlement de comptes, que ce soit avec ses anciens collègues (Curren$y sur "Gas Station Sushi", Benny The Butcher sur "Empanadas"), ses anciennes compagnes, d’autres rappeurs, ou encore sa défaite face à Nas aux Grammy Awards ("Grammy night felt like niggas took my trophy like Reggie Bush" sur "Jean Claude").

Et quand il n’est pas occupé à se mettre de nouvelles personnes à dos, Freddie alterne entre deux options. Dans le premier cas, il continue de prouver qu’il est potentiellement un des meilleurs rappeurs en activité, l’enchainement des trois premiers morceaux du disque étant tout bonnement excellent. Et quand il considère qu’il a assez prouvé, le rappeur revient à la fainéantise qui le caractérise trop souvent, notamment sur le milieu du disque - on reste persuadé qu’il a rappé au moins 25 fois dans sa carrière exactement comme sur le couplet de "Feeling". Du Freddie Gibbs au kilomètre, comme si You Only Die 1nce sorti l’année n’avait pas suffi. Ceci dit, même lorsqu’il semble concentré sur autre chose que son morceau, Freddie Gibbs continue à être plus intéressant que beaucoup, et surtout infiniment plus charismatique et drôle. Sérieusement, qui d’autre que lui pourrait rapper "I'm still gon' squeeze Akademiks titties, that fat bastard", tout cela 5 ans après le début de leur altercation ?

Et The Alchemist dans tout ça ? Tout va bien pour lui merci. Alan Maman continue de mettre le tampon « Il y a The Alchemist donc c’est forcément mieux qu’un disque normal » sur tout ce qu’il produit, et comment lui donner tort vu ce qu’il propose sur Alfredo 2 ? Sans avoir l’air de trop y toucher, le producteur continue à mettre le meilleur de son art au service de Freddie Gibbs, ses boucles drumless lui fournissant une formidable toile de fond. Les prises de risques sont certes limitées, mais les moments forts s’en ressentent d’autant plus fortement (le beat switch et la guitare électrique sur l’excellent single « 1995 »), et s’il semble pour ce disque laisser de côté les films de gangster pour donner un thème global, Alfredo 2 bénéficie grâce à lui d’une vraie unité stylistique. Moins visible que sur d’autres disques, The Alchemist accepte ici de laisser briller plus vivement son compagnon d’armes. Un vrai buddy movie finalement, qui nous donnerait presque envie de croire aux suites, au moins jusqu'à notre prochaine séance de cinéma.