A Room With A Door That Closes

Maiya Blaney

Lex Records – 2025
par Émile, le 14 juillet 2025
7

Faire un disque de soul, c’est l’assurance d’avoir un public, de plaire à une communauté. Mais c’est aussi le risque de faire quelque chose de vraiment très très chiant. Alors, popular ou unpopular opinion, je n’en sais rien, mais c’est plus ou moins la seule remarque que je m’étais faite lors de la sortie de 3, le précédent album de la new-yorkaise Maiya Blaney, en 2021. Quatre ans plus tard, elle revient avec A Room With A Door That Closes, et apparemment elle a effectivement passé beaucoup de temps enfermée à fomenter une vengeance contre le chill. Transformation inattendue, métamorphose qu’on souhaite souvent aux artistes, ce nouvel album, à défaut d’être excellent, est un imprédictible virage dans la carrière de Maiya Blaney.

Et pourtant, la soul est là, à travers plusieurs éléments qui, paradoxalement dans ce disque, vont solidifier sa position d’inspiration principale. C’est déjà un disque sur lequel le piano reste fondamental. Sur « Left », sur « Honey I », et même au loin sur « And », on vit avec elle les effluves d’un attachement très fort à cet instrument-phare du blues, de la country et de la soul. Au-delà de la physicalité du piano, A Room With A Door That Closes est un disque vocal. Malgré les écarts et les chemins de traverse, malgré l’éloignement de 3, Maiya Blaney est toujours la représentante d’une musique afro-américaine qui se construit autour du chant. Prenez les titres qui encadrent le disque : dans le dernier, « And », c’est un paysage entier qui vient soutenir et habilement décorer ses mots. Comme si c’était de sa voix que sortait l’instrumentale, et comme si c’était de sa voix que naissait ce qu’il y a d’ambient dans le titre. À l’opposé de cette douce ouverture de porte – ou fermeture, à vous de voir – se tient « I’ll Be With You ». Si la voix y est omniprésente, c’est sous la forme d’un sample pitchement instable, d’une distorsion des sons et des intentions. Puis à mi-morceau, cette même voix y est non pas détruite mais remplacée par la boucle de batterie, et de cette boucle va ré-émerger une voix non samplée, la sienne, timide, feutrée, effacée, mais organiquement liée à tout ça. On fait difficilement mieux pour annoncer un album de maturité esthétique, que d’expliquer noir sur blanc en introduction qu’on va y violenter ce qu’on aime le plus.

À partir de là, A Room With A Door That Closes déroule une science du continuum hardcore ; jungle, drum’n’bass, tout y passe, jusqu’à un « Affirmatively part. II » qui touche du bout de sa langue un genre de liquid breakcore à la Squarepusher. Deux aspects se cumulent et se rendent leurs altérités respectives : un disque de soul postmoderne à l’anglaise, avec de la jungle partout, et un disque qui vient jeter des œufs de peinture ‘continuum hardcore’ sur d’autres éléments. Ce dernier aspect est celui qui donne à la fois toute son originalité au disque, mais aussi son aspect patchwork pas toujours bien maîtrisé. Sur les cinq ou six premiers morceaux, on a honnêtement un peu de mal à comprendre ce qu’il se passe. Breakcore, ambient, chant soul, rap énervé sur de la d’n’b, et au milieu, ce « Carmen Electra » qui n’est pas un titre inspiré par le grunge, mais un vrai titre de grunge. Je suis personnellement assez bêtement attiré par les éclectismes musicaux, mais il faut aussi reconnaître quand ça casse l’écoute du disque. Même après plusieurs écoutes, A Room With A Door That Closes est un disque qui donne envie d’en ranger différemment les titres, de les isoler dans des playists ou d’en passer certains en fonction de l’envie. Et ce qui aurait pu être intéressant dans un disque de quarante titres l’est beaucoup plus difficilement sur 35 minutes.

Et si ce que je viens d’exprimer n’est peut-être rien d’autre que l’explicitation de ma profonde incompréhension du projet, il n’en reste pas moins qu’amateur·rices de soul, de jungle, d’expérimentations électroniques, doivent se jeter sur le dernier Maiya Blaney, qui brille autant par sa qualité que par ses accrocs.