Wolf

Tyler, The Creator

Odd Future Records – 2013
par Aurélien, le 2 avril 2013
8

On enfonce des portes ouvertes en affirmant que Tyler The Creator s'est trop vite retrouvé sous les feux de la rampe. Avec son Goblin pour le compte de XL Recordings, on a pu constater le talent d’un gamin capable de véritables éclairs de génie, mais uniquement lorsqu’il arrête un peu de scander des "Golf Wang" à tout bout de champ. C’est d'ailleurs tout le caractère personnel et excessif de cette première plaque, insuffisante pour confirmer les espoirs d'une première mixtape aussi prometteuse qu’inégale, qui nous a un peu déçus il y a deux ans.

A l’heure en tout cas où la fine équipe emmenée par Tyler Okonma fait moins tourner les têtes qu'A$AP Rocky ou Black Hippy, il était de bon ton que la tête pensante d’Odd Future creuse un peu son filon en dehors des tendances défendues par ses concurrents directs. Et qu’on se rassure: avec Wolf, le jeune loup nous prouve qu’il vieillit bien. Très bien même.

On savait la voix grave du collectif californien grande fan des Neptunes. On ne s’attendait pas à ce que sa troisième plaque leur fasse à ce point honneur: à un blind test, on aurait probablement misé notre sœur que Chad Hugo et Pharrell Williams avaient habillé la production riche et synthétique de cet opus à l’exacte croisée de la pop et du rap. C’est pourtant sur Tyler seul que repose le mérite de cette production digne des meilleures heures de N*E*R*D: passé un "Jamba" d’ouverture un peu trop familier, Wolf réussit l’exploit de rebondir de bonne idée en bonne idée, permettant au MC d'expérimenter et mûrir son sujet avec une nonchalance insolente. Conjuguant ses traditionnels coups de sang à de véritables morceaux de bravoure parfaitement complétés par une brochette d’invités de choix (Erykah Badu, Frank Ocean, Laetitia Sadier, Casey Veggies ou justement Pharrell), Tyler manque rarement sa cible et pimente sa recette de trouvailles qu’on ne pensait jamais croiser chez lui, à l’instar de l’enfantin "Treehouse95" ou du tubesque "Answer".

Le plus étonnant, c'est que cet hommage un peu trop appuyé apporte exactement à Wolf ce qui manquait à un MC qui avait trop pris l’habitude de camper sur ses positions: le plaisir d’une rupture totale, apaisée et lumineuse, après le quintal de noirceur déversé par Goblin et Bastard. Et bien qu'il subsiste encore quelques fautes de goût ("Trashwang" ou "Domo23") histoire de satisfaire les accros aux bangers usants d'Odd Future, c’est surtout le plaisir d’entendre un Tyler tantôt lover, tantôt storyteller, qui suscite notre émoi le plus total. C'est bien simple: on n'a jamais vu le rappeur autant à l’aise sur des terrains pourtant piégeux - et oui, n'est pas Kendrick Lamar qui veut!

A l’arrivée, le bourdonnement incessant autour d’Odd Future aura beau s’être un peu calmé, il apparaît évident que la tête pensante du collectif de L.A. se trace avec cette troisième plaque une voie des plus enviables. Il faut dire qu’ils sont rares les artistes qui marchent avec autant d’intelligence sur les traces de leurs idoles tout en profitant de leur plus totale confiance. Evoluant avec espièglerie et une versatilité fascinante, Tyler the Creator nous livre un disque qui n’est pas encore l’album de la maturité, mais marque assurément la victoire d’une adolescence artistique inspirée qui garantit encore de beaux jours à Odd Future. La barre étant ici placée fort haut, c'est peu dire qu'on attend de pied ferme le premier opus d’Earl Sweatshirt maintenant.