Vodka & Ayahuasca

Gangrene

Deacon Records – 2012
par Jeff, le 3 février 2012
8

Derrière le projet Gangrene se cachent deux types qui, l'air de rien, en connaissent un rayon en matière de hip hop qui perfore les écoutilles. A ma gauche, Alan Daniel Maman aka The Alchemist, producteur émérite qui a notamment bossé avec Mobb Deep ou Dilated Peoples mais est aussi le DJ attitré d'Eminem. A ma droite, Michael Jackson aka Oh No, frère du génial Madlib qui a déjà traîné son hip hop ultra samplé du côté de chez Stones Throw. A eux deux, ils forment Gangrene, binôme qui sévit depuis deux ans maintenant et dont le premier album était loin d'être passé inaperçu avec ses ambiances anxiogènes et ses envies de déviance. Et visiblement, au sein de cette petite entreprise, c'est la bonne entente qui prévaut puisqu'il aura fallu attendre un an à peine pour s'enfourner le successeur de Gutter Water, dont le titre ne laisse aucun doute sur les visées salaces de la paire américaine.

La première bonne nouvelle, c'est que le projet Gangrene n'est pas du genre à nécessiter des paragraphes entiers pour en saisir la teneur. Vodka & Ayahuasca est une esthétique un brin graveleuse bien servie par un son léché, qui met en lumière l'excellent travail de production de ses deux instigateurs. Mais Vodka & Ayahuasca, c'est surtout une œuvre d'une cohérence à toute épreuve, que les apparitions des copains Prodigy, Kool G. Rap ou Roc Marciano ne saurait venir troubler. Sur papier, les deux hommes n'évoluent pas vraiment dans la même catégorie (l'un est street, l'autre est plus cérébral et indie). Au sein de Gangrene, il y a clairement nivèlement, mais certainement pas par le bas. Certes moins sombre et crasseux que son grand frère, ce deuxième effort n'en reste pas moins pesant avec ses beats lourds et ses samples vicelards. Cette affaire-là flaire bon les soirées passées à siffler de la gnôle et à fumer des spliffs, mais aussi à cratedigger et à faire chauffer la MPC jusqu'à ce que prod s'en suive.

Finalement, la seule critique que l'on pourrait formuler à l'adresse de Vodka & Ayahuasca concernerait les parties vocales : la qualité des flows de The Alchemist et Oh No a beau être supérieure à la moyenne, elle n'est pas pour autant renversante. En fait, avec de telles ambiances, on aurait bien vu un Tyler The Creator venir poser son inimitable phrasé et sa vision tordue de la société sur nombre de titres. Car si ce dernier a beau être un emcee d'exception, il n'est pas encore un producteur incontournable – la preuve avec un Goblin plombé par les longueurs et une esthétique bien trop hermétique. Mais ce léger bémol n'empêche pas Vodka & Ayahuasca de figurer parmi les toutes bonnes sorties hip hop de ce début d'année. Il est juste regrettable qu'au regard de leurs pédigrees respectifs, Oh No et The Alchemist parlent avant tout à un public de trentenaires nostalgiques d'un certain âge d'or du hip hop indé, parce que Vodka & Ayahuasca est un disque bien ancré dans une époque étouffante et angoissante.

Le goût des autres :
8 Soul Brotha