Silent 77

Geskia

Flau – 2008
par Simon, le 10 juillet 2008
9

Du Japon musical, certains retiennent avec raison les grands compositeurs classiques (Ryuchi Sakamoto), les chirurgiens du minimalisme (Ryoji Ikeda) ou les bardes pop (Miho Hatori). A chaque genre ses héros, aucune bonne raison donc que l’abstract hip-hop ne déroge à la règle, Geskia semblant bien être devenu la nouvelle tête pensante de ce genre aussi exigeant qu’excitant. Ne se fiant à rien d’autre que son instinct au moment de concrétiser son essai, Geskia n’en reste pas moins influencé par une ribambelle de formations à la renommée incontestable. Notre homme se situerait donc entre les batteries millimétrées de la clique Anticon, avec un fort penchant pour le bidouillage digital prôné par Prefuse 73. Une inspiration rythmique admirablement bien digérée qui ne se contente jamais de resservir une formule usée jusqu’à la corde, trouvant dans ces quelques allusions bien pensées le moyen de trouver un souffle nouveau dans son expérimentation. Une sorte de tremplin d'où tout commence car, une fois ces influences dépassées, le plus dur reste à faire pour ne pas se liquéfier dans des comparaisons qui risquent bien de le desservir à moyen et long terme.

Mission accomplie pour le Japonais qui, comme pour conjurer le sort, ressort une nouvelle palette d’influence pour se dégager de la comparaison première. On retrouve avec un certain plaisir ces claviers vintage désaccordés et ces nappes éthérées qui avaient fait le succès d’une autre formation de taille, les non moins géants Boards Of Canada. Le temps de mettre tout cela en forme étant arrivé, on croise les doigts afin que Geskia n’accouche pas d’un monstre hideux, d’une aberration polymorphe dont les membres ne sauraient tenir ensemble par un trop plein d’associations, à première vue, incongrues. Et c’est bien là que le miracle apparaît, on tombe rapidement à genoux devant ce labyrinthe grandeur nature érigé par le maître de ces lieux. Une épopée mystico-transcendantale qui emprunte à ces mentors la capacité d’entrevoir des paysages fantasmagoriques avec une cohérence inouïe, sans jamais se perdre dans de quelconques travers obscurcissants. Une heure pour observer de près cette coupe longitudinale du cerveau de ce génie des rythmiques autant que des mélodies insondables.

Avec un tel contenu, il ne fait nul doute que ce Silent 77 résistera à l’épreuve du temps, le temps d’en visiter les moindres recoins correspondant déjà à la longévité des disques à la carrure normale. Et une fois le disque terminé, on se demande déjà qui pourrait concurrencer une œuvre aussi magistrale de témérité et d’inventivité à chaque fois renouvelée. Pas grand-monde sûrement à la lumière de ces quinze pistes à fleur de peau qui frôle le voyage initiatique même pour les plus aguerris du genre. Entre un besoin d’évocation passionné et une conduite du son intrigante (voire carrément aventureuse), Geskia réalise ce coup de force majeur que l’on n'espérait plus depuis la dégénérescence de Scott Herren ou la rareté dont font preuve les formations typées Anticon-like. Un grand moment de cette année à n’en point douter, et donc à ne rater sous aucun prétexte.