Only Built 4 Cuban Linx... Pt II

Raekwon

Ice H20 – 2009
par Jeff, le 26 octobre 2009
9

Quatorze longues années. C'est le temps qu'il aura fallu à Raekwon pour accoucher d'un successeur au désormais mythique Only Built 4 Cuban Linx…, cette pierre angulaire du hip hop new-yorkais des années 90, mais aussi l'une des meilleures réalisations solo de l'un des membres du Wu-Tang Clan, aux côtés de l'indétrônable Liquid Swords du GZA. Cette galette rappelle inévitablement un âge d'or du hip hop: tout d'abord, celui de ces "golden nineties" où le rap pouvait encore s'appuyer sur un certain nombre de valeurs, à commencer par l'intégrité, qui font désormais défaut à l'immense majorité de ces merdeux de parvenus qui n'en finissent plus de renvoyer une image détestable du rap game. Ensuite, celui du RZA, alors LE producteur incontournable qui enchaînait avec une vitesse sidérante les productions du feu de dieu.

Depuis, les années ont passé et beaucoup d'eau a coulé sous les ponts: les meilleures plages d'A Tribe Called Quest, Nas ou O.C. sont désormais réservées aux soirées où l'on côtoie de vieux loups de mer nostalgiques, le RZA n'est plus habité par la folie créatrice d'antan et ses fidèles acolytes au sein du Wu-Tang sont décédés, ont disparu de la circulation (mais que font Masta Killa ou U-God???) ou cachetonnent là où ils peuvent – Method Man, très bon dans The Wire, la meilleure série policière de ces dix dernières années. Heureusement, le Wu-Tang n'est pas complètement mort. Le petit dernier du crew new-yorkais, 8 Diagrams, contenait quand même quelques bons moments, et certains de ses membres entretiennent la flamme allumée en 1993 – GZA et Ghostface Killah en tête. Mais depuis quatre ans maintenant, le public attend de voir si Raekwon est en mesure de rééditer le petit exploit qu'était Only Built 4 Cuban Linx… L'attente est d'autant plus énorme que le premier single balancé en éclaireur, "New Wu", est purement et simplement l'un des meilleurs trucs entendus cette année avec son sample soulful complètement hypnotisant.

Et il ne faut pas bien longtemps pour avoir une petite idée de l'état de forme de Corey Woods: il n'y a qu'à l'entendre cracher son flow abrasif sur le beat martial façonné par le regretté J Dilla et placé judicieusement en ouverture de disque pour être rassuré. A bientôt quarante berges, le MC de Staten Island n'a rien perdu de sa force et les meilleurs producteurs de la planète hip hop ne s'y sont pas trompés: finie la collaboration exclusive avec le RZA (pour cause de différend artistique). Sur Only Built 4 Cuban Linx II, "The Abbot" doit partager l'affiche avec une vraie dream team de la prod qui déboîte: outre le RZA et J Dilla, on retrouve aux manettes Necro, Marley Marl, Dr Dre, Erick Sermon, The Alchemist ou encore l'immense Pete Rock. Mais on le sait bien: un recrutement étoilé ne garantit pas un produit fini de qualité – la preuve avec le dernier Jay Z, très inégal. Heureusement sur Only Built 4 Cuban Linx… Part II, le soin apporté à la production parvient à des sommets rarement atteints cette année et personne ne se laisse distancer, en n'oubliant pas de conserver sa griffe et de l'adapter aux attentes d'un Raekwon dont on sait qu'il n'est pas enclin à sombrer dans le banger facile taillé pour les ondes - cette variété dans la cohérence constituant forcément l'une des forces du disque.

Mais comment ne pas également parler des nombreux invités conviés à ce festin par Raekwon. Et comment ne pas commencer par s'étendre un peu plus sur le cas Ghostface Killah. Déjà sur la pochette de Only Built 4 Cuban Linx, Tony Starks était judicieusement placé en embuscade derrière Raekwon, tapi dans l'ombre du (il est vrai volumineux) MC et prêt à sauter de l'ombre pour éclabousser le disque de tout son talent. Sur ce nouvel opus, le duo magique est à nouveau réuni, tant sur la pochette que sur la galette, et l'association fait à nouveau des merveilles sur tous les titres où Ghost fait une apparition, rarement timide. Pour le reste et outre quelques invités de marque (Beanie Siegel, Busta Rhymes ou le trop rare Slick Rick), c'est la quasi-totalité du Wu qui vient faire un petit coucou à un moment ou un autre de Only Buit 4 Cuban Linx… Pt II, histoire de nous rappeler que le crew de la Big Apple est bien le plus talentueux de sa génération et qu'il est loin d'être mort – à condition que ses membres soient capables de laisser leurs ego au placard lorsqu'il se réunissent sous la bannière commune du clan.

Au final, Only Built 4 Cuban Linx… Part II est un de ces albums dont on pourrait parler pendant des pages tant il bouillonne d'idées excellentes et d'histoires passionnantes – rien que les rumeurs qui ont précédé sa sortie ces dernières années mériteraient un bouquin à elles seules. Dense mais pas épuisant, bruyant mais pas bling-bling, percutant mais pas violent, cette quatrième réalisation solo de Raekwon laissera des traces dans les tables récapitulatives de l'année 2009. Considéré pendant longtemps comme l'Arlésienne du hip hop de la côte est, cette nouvelle galette de Raekwon est enfin là et s'impose, l'air de rien, comme LE disque de rap de l'année, celui dont on parlera encore dans 10 ans. Quant à Raekwon, il n'a jamais aussi porté son surnom de Raekwon The Chef.

Le goût des autres :
7 Julien 6 Soul Brotha 7 Simon 9 Amaury L 9 Ruben