Fabric 53

Surgeon

Fabric – 2010
par Simon, le 5 novembre 2010
8

Difficile d'expliquer notre admiration pour la vision musicale de Surgeon. Plus qu'un simple producteur de musique électronique, cet homme aura su s'imposer comme l'une des figures techno les plus influentes et passionnantes de cette décennie. Pourtant, la formule est simple (ou presque) : Surgeon pratique une techno à l'ancienne, rugueuse, animale et marquée par des inspirations minimalistes. Lui qui se révèle de Throbbing Gristle, de Napalm Death ou de Coil est avant tout un homme d'influences, dont le travail présent alimentera pour longtemps nos analyses de la techno du 21e siècle. Mais soyons clairs, si la tradition est un élément indispensable à la bonne compréhension de l'œuvre de Derek Walmsley, jamais un producteur n'a autant cherché la synchronisation avec son présent. En témoigne une symbiose parfaite avec la techno-dub autant que le dubstep-techno. Comme ses compères de la « génération Berghain » (Marcel Dettmann, Ben Kock, Substance, Nick Höppner,...), Surgeon a su préserver son héritage techno en s'ouvrant à un nouveau pan de la modernité musicale.

Pas étonnant donc que les Londoniens de la Fabric aient fini par convier Surgeon à leur festival de compilations mixées. Et le résultat impressionne, logique. Il faudra à peine quelques minutes pour comprendre la trajectoire prise par Surgeon sur ce cinquante-troisième opus de la série : tout ici est hybride, mal défini. Il s'agit bel et bien d'un disque de techno, mais les lignes ne sont jamais claires, tout est réinvesti dans une pluie de saccades. On sent directement la part de dubstep qui s'est glissée entre les lignes et qui, tel un intrus, est venue reparfumer une sélection largement orientée old school.

Tout respire ici la transe, la fureur d'un son magnétique tourné vers un clubbing de sang pur, de race forcément noble. Et si on se prend cette techno comme une barre dans les gencives, c'est le cerveau qui en prend aussi pour son grade, perdu dans les méandres d'un hybride guerrier et intangible. Les sections strictement techno font peur tant la puissance déployée est colossale, rappelant cette époque où le genre n'avait pas besoin de s'étiqueter pour convaincre. Et puis il y a cette manière d'amener les syncopes dubstep, se calant diaboliquement dans un kick qui demeure toujours aussi méchant. Appleblim, Al Tourettes, Substance, Gatekeeper, Scuba ou Instra:Mental : toute la conscience techno du dubstep (si on exclut Ital Tek et Starkey) viennent ici se percuter aux légendes que sont Robert Hood, Ancient Methods, Russ Gabriel, James Ruskin, Mark Broom, Luke Slater (sur son nom ou son pseudonyme Planetary Assault Systems) ou Surgeon lui-même.

Et il fallait encore être à la hauteur de la sélection au moment de passer derrière les platines. Surgeon a, pour une fois, mis de côté le vinyl pour passer derrière le laptop intégral, technologie plus adéquate pour jouer les titres par fragments, pour les faire chevaucher dans un plan large sans césure aucune. Tout se tend les mains, s'incorpore, se distancie pour mieux se rentrer dedans. Surgeon, le chirurgien, réussit la un coup de maître. On aurait pu parler d'un miracle médical ou d'une opération au dénouement inespéré. On se contentera simplement de vous guider calmement vers la salle de réveil, avant un nouveau retour au bloc. Dieu qu'il est bon d'être malade.

Le goût des autres :
7 Thibaut