A Cross The Universe

Justice

Ed Banger / Because Music – 2008
par Jeff, le 13 décembre 2008
7

S'il est bien une chose que l'on doit reconnaître à Justice et sa cour, c'est d'être parvenus à susciter un intérêt démesuré pour certains, justifié pour d'autres, autour du groupe depuis la parution du phénoménal maxi Waters of Nazareth. Buzz savamment orchestré par un Pedro Winter connaissant les ficelles du métier comme sa poche, l'aventure Justice a connu son lot de passages ensoleillés et de tempêtes avec une seule constante: jamais le groupe n'a arrêté de squatter les ondes, les couvertures de magazines, les écrans ou les iPod de ce globe – pour les bonnes ou mauvaises raisons.  Qu'il s'agisse d'une victoire aux MTV Music Awards, de l'incident cocasse du contrôleur MIDI débranché ou du mix rejeté par le club londonien The Fabric (fallait pas inviter Daniel Balavoine ou Julien Clerc…), tout a été bon pour continuer à faire enfler la bulle sans jamais la faire exploser.

Et alors qu'approchent les fêtes, quoi de mieux pour finir l'année en beauté et ajouter encore un peu d'eau au moulin Ed Banger que de débarquer avec A Cross The Universe, un documentaire retraçant, comme son nom ne l'indique pas vraiment, la tournée américaine du duo – évidemment accompagné de quelques potes, dont Kavinsky, Busy P ou Mehdi. Et qui de mieux pour mettre en boîte ce barnum fluorescent et décadent que Romain Gavras (ici accompagné de l'inévitable So Me), l'homme par qui le scandale était arrivé avec le clip controversé de "Stress"? Fer du lance du collectif Kourtrajmé, le fils de Costa Gavras a toujours fait étalage de son amour pour un style épileptique et 'dans ta face' qui colle à merveille avec l'image fondamentalement tapageuse que cherche à véhiculer le binôme Augé/De Rosnay.

Pendant soixante bonnes minutes, le spectateur pénètre donc dans l'intimité (enfin tout est relatif) de Justice pour une odyssée américaine riche en excès et voyant le duo donner une version personnelle et globalement potache du mythique triptyque 'sex, drugs & rock'n'roll' – avec une mention toute particulière pour Gaspard Augé, qui démontre ici que lorsqu'il ne dort pas les yeux éveillés en interview ou qu'il ne chipote pas sur trois petits boutons pendant que son collègue chinois trinque comme une bête, il sait aussi pas mal déconner.

Au menu d' A Cross The Universe donc, excès en tous genres: de la tentative d'immolation par le feu d'une femme au pétage de gueule par bouteille de verre interposée en passant par un mariage improvisé à Vegas, rien ne vous sera épargné. Et s'il est toujours difficile de s'imaginer le quotidien d'un artiste, s'agissant de Justice, on avait déjà quelques indices glanés lors d'interviews ou de précédentes prestations. Premièrement, il suffit de regarder leur tête pour se dire que ces mecs n'ont plus eu une bonne nuit de sommeil depuis au moins deux bonnes années. À ce titre, A Cross The Universe nous confirme que nos deux zozos mènent une vie que ma mère qualifierait de "bâton de chaise". Quant à ceux qui se refusent à intellectualiser la musique du duo frenchie, A Cross The Universe leur donne mille fois raison. Le duo est bien le rejeton autoproclamé d'une génération MTV (qu'il remercie d'ailleurs dans le livret) qui privilégie la gaudriole à l'élitisme. Quant au disque "live", il s'inscrit dans la droite lignée du DVD. Scandaleux, ce concert enregistré à San Fransisco laisse apparaître un groupe qui se donne des airs de rouleau compresseur – quitte à jouer avec les nerfs de l'auditeur.

À l'image de Daft Punk sur Alive, mais avec moins de finesse et d'intelligence certes, les gars de Justice, en bons ambassadeurs de la French Touch 2.0 qu'ils sont, ne se gênent pas pour mélanger tout ce qui leur passe par la main. Et donc, outre la présence permanente de ce filtre grossier qui avait popularisé le son Justice sur un morceau comme "Let There Be Light" et qui se voit désormais appliqué à des morceaux à l'origine plus calmes comme "TTHHEE PPAARRTTYY" ou "D.A.N.C.E.", on retrouve également ça et là des bribes des remixes pour Justice par Erol Alkan ou par Justice pour Soulwax ainsi que la désormais traditionnelle sirène des Klaxons, considérée par des armadas de fluokids boutonneux comme le mythe fondateur de toute une génération qui hurle, danse et se déchaîne tout au long du disque.

À l'arrivée, A Cross The Universe fait partie de ces disques qui ne feront pas avancer le schmilblick. Les fans du groupe ressortiront convaincus de l'expérience, tandis que les détracteurs du groupe verront dans ce nouveau CD/DVD un nouvel élément à charge à ajouter à l'épais dossier qu'ils constituent depuis de nombreux mois. Ceci étant, l'objet reste interpellant à plus d'un titre (le personnage de Bouchon, le manager du groupe, laissent perplexe) et laisse un goût bizarre dans la bouche, un mélange plutôt bizarre d'étonnement, d'admiration et de dégoût. En tout cas, suffisamment bizarre pour que l'on continue de parler du groupe pendant quelques mois encore.

Le goût des autres :
7 Simon 8 Soul Brotha