Dossier

Off The Radar # 3

par Jeff, le 26 septembre 2011

Cette troisième édition de la série Off The Radar, on aurait souhaité vous la présenter beaucoup plus tôt. Malheureusement, et ce pour des raisons diverses, ce dossier n'arrive à votre table qu'aujourd'hui. Tout ça pour dire que les disques ici présentés ne sont pas tous de « première fraîcheur » (à quelques mois près), mais ils justifient leur présence par d'inévitables qualités. Pour nous excuser de ce retard, nous avons fait appel à un consultant de choix, un avis des plus pertinents en la personne de Nicolas Bernier. Inutile d'encore présenter le Montréalais, foudre de guerre en matière de sound-design, électro-acoustique et autres joyeusetés légèrement déviantes ayant posé pour des labels aussi référencés que Crónica. C'est évidemment avec un plaisir immense qu'on accueille celui-ci dans nos lignes. Trêves de gloses inutiles, on vous présente immédiatement notre sélection « tout-sauf-commune » de pièces électroniques audacieuses. En vous souhaitant autant de plaisir à l'écoute que le nôtre à vous les communiquer.

Simon

The Machinist – Of What Once Was

Notre inconnu du jour se prénomme Zeno Van Den Broeke, est Hollandais et se paye avec son quatrième album une sortie tout ce qu'il y a de plus recommandable. Au menu, deux longues séances – respectivement vingt et trente minutes – d'ambient/drone au grain terreux où les guitares préparées alternent magnifiquement les hauteurs. Proche d'un Pixel sans le click'n'cut (référence assumée au travail du label Raster Noton), ce disque de The Machinist est un havre de paix un poil indus, mais surtout deux très belles histoires à s'enfiler sans modération. Si vous aimez le travail minutieux sur infrabasses et les cracks du genre d'Alva Noto ou Ryoki Ikeda version beatless, Of What Once Was est un disque hautement recommandé. Mention spéciale au titre éponyme, dont les quinze dernières minutes sont littéralement à tomber de sa chaise.

Reinhold Friedl – Inside Piano

On connait zeitkratzer comme étant l'orchestre allemand le plus référencé de la musique contemporaine. Son leader, Reinhold Friedl – qui apparait presque comme un mentor pour bon nombre d'adeptes, nous gratifie d'une trop rare apparition en solo avec ce Inside Piano. Réparti sur deux disques, Inside Piano cristallise deux heures d'expérimentations autour du piano préparé, cette manière non conventionnelle de jouer de l'instrument-roi (puisqu'il consiste à travailler les cordes à l'aide de matériaux extérieurs). On y trouve de longues plages drone/électro-acoustiques dignes des plus grands survival-horror, des incartatdes noisy, mais surtout un voyage digne des plus grands maîtres. Avec un équilibre de tous les instants, Reinhold Friedl démontre l'étendue de ses talents en matière de musiques risquées et consacre une fois de plus le savoir-faire clinique de la maison zeitkratzer. Exigeant mais bien souvent à couper le souffle, pour tous ceux qui aimeraient comprendre le piano sous un autre angle. Il suffit de lire l'avis de Stephen Robinson, du vénéré magazine Wire, pour comprendre : "Friedl has developed his "inside piano" technique to such a level of delicacy and precision, that any anticipated distinctions between instrumental and electroacoustic music, or between improvisation and composition are dissolved or transcended"

Mathon – Terrestre

Je ne remercierai jamais assez Pete Aurel Leuenberger de m'avoir personnellement contacté pour me proposer Terrestre, sa nouvelle œuvre aux côtés de Thomas Augustiny et Roger Stucki. Ce trio suisse propose une musique à la croisée des chemins, entre ambient charnelle et extrêmement mélodique, électro-acoustique légère, modern classical déchirant et rythmiques electronica. Et même si la formation est loin d'avoir inventé la roue, on prend ce LP comme un cadeau du ciel. A peine le vinyl posé sur la platine, « Sublim » te prend par la main et te propulse cent mètres au dessus des nuages. A partir de là on se laisse divaguer dans des ambiances bucoliques, souvent mélancoliques pour ne redescendre qu'avec le sourire aux lèvres. Un travail raffiné qui se propose sans aucune attitude arty, ce qui est assez rare pour être souligné. Pour clôturer, Mathon propose un package extrêmement luxueux : vinyl bleu transparent et surtout l'ajout d'un dvd reprenant l'ensemble des titres, leurs clips respectifs et un ensemble de remixes qui fait apparaitre notamment le grand Kenneth Kirschner. Autant le dire tout de suite, c'est LE truc à posséder si vous comptiez vous lancer dans une grande odyssée musicale cet hiver.

Four Colour – As Pleat (nb)

Il y a quelque chose d'indéniablement charmant qui amorce cet album de Fourcolor, nom de plume de Keiichi Sugimoto. Guitares au chaud vibrato, voix distante et frêle viennent nous tourmenter les oreilles, le tout reposant évidemment sur quelques syncopes glitch. Et ce sera ainsi tout au long de ce disque qui ceinturera l'auditeur d'une zone d'éther, d'un lieu quelque peu ambigu : jamais trop ambient ni trop rythmé, mais toujours empreint de légèreté. La guitare comme principalement instrument y est truffée de traitements qui, utilisés avec finesse, réussissant à nous faire oublier que derrière l'homme... se cache toujours une machine.

Martin Tétreault, Le Quatuor De Tourne-Disques : Points, lignes avec haut-parleurs

Un quatuor rempli d'amour, de fioriture, de belles notes de cordes qui feront pleurer vos mères à la St-Valentin, ça vous dit? Et bien cet album n'est pas pour vous puisqu'il s'agit ici d'un projet nettement plus ambitieux et téméraire : un quatuor de table tournante. Le projet est mené par le québécois Martin Tétrault, un pionnier de la table tournante expérimentale. Sa réputation n'est plus à faire, ayant collaboré avec des artistes tels que Otomo Yoshihide, Kevin Drumm et Ikue Mori pour ne nommer que ceux-là. Issus du milieu des arts visuels, il n'est pas étonnant de le voir ici s'inspirer de l'essai de Kandinsky Point et ligne sur plan (Punkt und Linie zu Flache) où chacun des quatre haut-parleurs est un point duquel sort des lignes de son formant une sorte de tableau sonore. On y trouve un travail de textures brutes, dix courtes fresques, dont l'instrument impose une nature bruitée. Ce qui pourrait paraître un tantinet rébarbatif recèle pourtant quelque chose de frais : de l'analogique, du vrai. Parce qu'il n'est aucunement question de bruit numérique ici, on sent le son analogique, les manipulations, les gestes, les imperfections d'où le fait que certain d'entre-nous trouverons grand plaisir à écouter. Le paquet inclus également un DVD pour une écoute sur 4 hauts parleurs ainsi que les partitions aidant ainsi à mieux saisir le travail.

Alva Noto + Ryuichi Sakamoto – Summvs

Dans la catégorie « musique électronique avec instruments classiques », nul doute que Alva Noto et Ryuichi Sakamoto font figure d'autorité. Leur premier essai où la chirurgie électronique côtoie des nappes pianistiques soyeuses, Vrioon, est arrivé il y a presque 10 ans, alors que ce type de rapprochement se faisait relativement rare. Depuis, les protagonistes ont répété l'expérience à quelques reprises avec Insen (2005) et Revep (2006) mais surtout avec l'imposante aventure _utp (2008) où ils partagent la scène avec un orchestre de chambre. Le présent retour en duo garde-t-il sa pertinence après une oeuvre aussi magistrale? La réponse est oui. Le couple réussit un certain renouvellement en se rapprochant un cran – un dit bien un cran, un tout petit mini cran – de la musique pop. Tout en gardant les accords de piano éthérés et les pulsations de clics métronomiques, une plus grande place est faite à la mélodie répétitive, voire accrocheuse, se rapprochant même parfois d'une structure couplet/refrain. Paradoxalement, nous tenons ici le plus sombre de leurs efforts, dû probablement au piano accordé en seizième de ton utilisé dans les pièces « microon I-III » (un des quinze pianos du genre à exister sur la planète!). Une petite dose d'étrangeté qui vient équilibrer l'effet contemplatif.